Le dernier article partait de la constatation « les
corps sont malades ». Nous avons pu en tirer certaines conclusions pour
notre vie. Dans la logique de ce qui précède, me revient cette autre idée à
laquelle je réfléchis souvent : l’esprit est un grand malade.
Pour bien nous accorder sur les concepts, j’entends ici par
esprit : nos pensées, notre aspect intellectuel, dit
« rationnel » qui raisonne (résonne), réfléchit, ordonne, perçoit et
décide…
Cet esprit-là est un grand malade, parce qu’il est
responsable des pires idées que nous ayons pu avoir au cours de l’histoire.
C’est lui qui a décidé que nous étions séparés de la Nature, c’est lui qui nous
a mis en tête ces idées de progrès, de perfection, d’ordre du monde, de
croissance, de conquête, de domination, de puissance, de haine et on en passe….
C’est lui qui filtre la réalité et exclut tout ce qui ne passe pas par sa
vision réductrice.
Je n’hésite pas à dire « grand malade », pas seulement
malade, à l’image des points dits « raku » en shiatsu, qui témoignent
de la lente incrustation d’un déséquilibre. La répétition d’idées et de
pratiques néfastes de génération en génération implique que le sillon dans
lequel nous sommes tombés est profond.
Et attention, qui suis-je pour critiquer ? Il est clair
que chaque humain, du fait d’être humain, a ces tendances en lui, à des degrés
divers. Moi pareil. En tant qu’humain, je ne fais que constater, en quelque
sorte, de l’intérieur et de l’extérieur, les dégâts à l’échelle macro et micro
que certaines de mes pensées peuvent provoquer.
Un de mes anciens professeurs n’hésitait pas à affirmer que
l’homme est décidément une erreur de l’évolution. Et c’est vrai que nous nous
comportons, en règle générale et par la loi du nombre maintenant, comme un
parasite à la surface de la planète. Un parasite, c’est ce qui exploite et
finalement fait mourir l’organisme porteur, et ne rend rien en échange.
Il suffit de prendre conscience de quelques exploits de nos pensées et
pratiques connexes pour s’en rendre compte :
·
Nous sommes apparus sur une planète vierge et
pleine d’énergie et nous sommes en train de la souiller et de l’exploiter sans
mesure ;
·
Nous sommes apparus sur une planète remplie d’une
magnifique diversité de créatures animales et végétales et nous les
exterminons ou les asservissons sans pitié ;
·
Nous sommes apparus sur une planète riche et
nous l’appauvrissons ;
·
Nous sommes apparus sur une planète
incroyablement belle et nous l’enlaidissons avec nos constructions et nos
villes ;
·
Nous nous entêtons à tracer partout des lignes
droites, alors qu’il y en a peu ou pas dans la nature ;
·
Nous passons notre temps à exterminer d’autres
humains, physiquement ou économiquement, et nous gaspillons les
ressources pour ce faire ;
·
Nous sommes apparus sur une planète libre et
ouverte, et nous plaçons partout des barrières, des frontières, des
limites ;
·
Nous sommes apparus sur une planète où le jour
alterne avec la nuit, mais nous avons relégué le calme, la poésie et la
profondeur de la nuit au rang de nos peurs et de nos insomnies, au point de ne
même plus pouvoir voir les étoiles;
·
Nous sommes apparus sur une planète innocente,
mais nous avons inventé le Bien et le Mal, défini le Mal selon l’air du temps
et tenté de l’exterminer ;
·
Nous sommes apparus sur une planète où tout le
monde pouvait trouver sa subsistance et nous avons créé les riches et les
pauvres ;
·
Nous sommes apparus sur une planète où tout se
recyclait et nous avons produit des choses non- recyclables et
polluantes ;
·
Nous sommes les derniers à être apparus sur
cette planète et, normalement, les derniers arrivés se font discrets et tentent
de se faire accepter, mais nous nous sommes arrogés le droit de tout voler et
avons pensé que les autres créatures devaient s’adapter à nous.
Vous pourrez compléter la liste de milliers d’exemples, à
l’échelon planétaire ou même dans votre vie de tous les jours. Alors, à
lire tout cela, sommes-nous une erreur
de l’évolution ? L’évolution décidera. Elle n’a pas hésité, par le passé,
à réaliser plusieurs extinctions, pour tout recommencer. C’est clair que s’il y
a un jour un tribunal cosmique, nous risquons d’être condamnés à errer dans le
Vide Absolu pendant quelques éternités pour notre mauvaise conduite et mauvaise
gestion.
Que nous devons, en grande partie, aux lumineuses idées qui
hantent notre cerveau : puissance, domination, exclusion, profit,
séparation, destruction, peurs, analyse, ligne droite, peur du manque, obsessions…
Le tout formulé en archétypes, religions, philosophies, sciences clamées par
nos grands penseurs. Car nous avons inventé des histoires et nous avons tenté de légitimer notre
inconduite, voire de rejeter la responsabilité sur d’autres forces, dites maléfiques.
D’autre part, l’humain a quand même d’autres qualités, que
l’on décrit plus volontiers comme des qualités du cœur : amour, douceur,
compassion, respect, gentillesse, protection, attention… Et tous, également,
nous nourrissons et pratiquons ces qualités à certains moments plus que
d’autres. Il y a également eu, tout au long des derniers millénaires, des
esprits éclairés qui ont bien tenté de nous retenir ou de nous montrer autre
chose. Ce sont les grands sages, les grands artistes, les visionnaires… Mais on
ne peut que constater que – quand ils n’ont pas été carrément ignorés ou
éliminés - leur influence – réelle – est restée limitée.
Se battre contre la pensée ambiante avec des raisonnements,
c’est se battre à un contre cent. Même les plus braves succombent sous la loi
du nombre. C’est peut-être pour cela que la croissance globale en humanité de
celle qui se nomme elle-même l’humanité est dérisoire depuis que nous
conservons la mémoire de notre histoire. Il ne semble y avoir d’issue que dans
le ressenti.
Alors, l’esprit, ce grand malade ? Bien entendu. Il ne
faut pas être « bien dans sa tête » pour gérer si mal la planète et
les relations entre les gens.
Mais que faire ? Si je regarde tout cela avec ce que m’a
déjà appris la pratique du shiatsu, je peux en tirer certaines conclusions :
-
La maladie est le signe d’un déséquilibre, en
l’occurrence profond. Ce déséquilibre consiste à accorder la primauté à cette
partie destructrice / hyperactive de nous-mêmes et à refouler la partie créatrice
/ réceptive. Il faut rééquilibrer, c’est-à-dire permettre l’auto-guérison, en
favorisant les énergies créatrices, positives et en atténuant les tensions.
-
En termes imagés et très généraux, nous sommes
« trop hauts ». L’énergie est en haut, non ancrée, décollée de la
Terre. Le point d’équilibre du corps ne peut pas être dans la tête. Les
pratiquants d’arts martiaux le savent bien. Test : poussez quelqu’un. S’il
perd l’équilibre, son énergie est trop haut, il n’est pas ancré.
-
Eliminer le symptôme ne permet pas d’éliminer la
cause de la maladie. Heureusement, car vu le nombre de symptômes décrits
ci-dessus, on n’y arrivera pas tout seul. Enormément d’humains sont actifs sur
le plan des symptômes, où ils font un travail remarquable, énergétique,
scientifique, économique, écologique… Notre travail, en shiatsu, s’adresse à la
racine des symptômes.
-
En prenant du recul, si l’on veut lire tout cela
à la lumière des deux grands principes d’énergie Yin et Yang, on constate que
le Yang est beaucoup trop fort. Les dégâts décrits ci-dessus sont des effets du
Yang, qui suragit. Le Yin, réceptif et ouvert, ne trouve pas à s’exprimer de
façon suffisamment visible. « Yang
can be very stupid », disait Ohashi Sensei lors d’un récent stage. Indeed.
Plutôt que de s’opposer frontalement au Yang, avec le risque de perdre, il vaut
mieux nourrir le Yin en nous. La tension n’est là que parce qu’il n’y a pas
assez de tension en face. Kawada Sensei préconisait également, lors de ses
cours, de ne pas affronter le Yang, mais de toujours nourrir l’énergie vitale
en nous, en premier lieu.
-
Si nous reprenons l’idéogramme
« HITO », évoqué dans l’article précédent, nous constatons
qu’effectivement, et à nouveau, le travail consiste à reprendre notre juste
place, entre Ciel et Terre. Accueillir en nous, et faire le lien entre le Yin
et le Yang, permet de laisser s’exprimer leurs qualités positives.
-
A chaque organe sont associés, en MTC, une
psychologie, une attitude, une aptitude mentale. Ce sont les entités
viscérales. L’entité viscérale « I » , rattachée à Rate Pancréas, gère tout ce qui touche à la pensée, à la
mémorisation, à la réflexion. En excès, « I » donne l’obsession du
passé, le ressassement des idées, les idées fixes. « I » est
généralement en excès. Il est certain
que notre mode de vie et notre alimentation sur-sollicitent « I ».
Tellement de clients se plaignent du carrousel dans leur tête, qui ne peut plus
s’empêcher de tourner, même quand ils veulent se reposer. Il s’agira donc de
diminuer la part accordée à cette fonction, au profit d’activités non-intellectuelles,
par exemple, et non-connectées via le monde virtuel. Il est clair aussi que la
mauvaise alimentation, essentiellement sucrée, vient nourrir le carrousel en
question.
-
Une autre entité viscérale « Shin »
(Shen) ne peut, du coup, pas faire son travail correctement. Shin est lié au
cœur et gère la capacité de juger sainement, le discernement. Le méridien du
Cœur a la charge du cerveau et est sur-sollicité. Shin ne peut réaliser son
travail d’harmonisation globale quand les autres entités viscérales font
n’importe quoi. Michel Odoul voit ici un rôle majeur de la pratique du
Shiatsu : réaliser un travail d’harmonisation globale, rééquilibrer Shin,
et donc notre gestion énergétique et émotionnelle du monde.
Seuls les idiots scient la branche sur laquelle ils sont
assis. Si nous ne sommes pas idiots, il faut d’abord reprendre conscience que nous sommes assis
sur cette branche, en corrigeant notre vision du monde et en reconnectant à la
fameuse « interrelation » des Bouddhistes. Si je détruis le monde, je
me détruis. Je ne suis pas séparé.
La pratique du shiatsu n’est pas la panacée qui va résoudre
tous les problèmes de l’humanité. Mais je suis convaincu que le travail sur le
corps est la porte d’entrée vers tous les plans, physiologiques, psychologiques,
émotionnels, spirituels. Au-delà des demandes spécifiques qui nous sont faites
en séance et que nous prenons en compte, il est clair que nous travaillons en
même temps sur l’empathie, l’interrelation, la connexion au Ciel et à la Terre,
la communication entre les hommes et les femmes, l’harmonie, la détente. Et que
donc nous contribuons, en nous et autour de nous, à un monde plus viable. Au
fur et à mesure que le corps s’harmonise, que nous devenons plus conscients de
et dans notre corps, notre façon de vivre et de penser se met à changer et nous
devenons, nous-mêmes, acteurs du changement autour de nous.