Thursday, 3 November 2022

Anma Mater : l'Anma aux origines du Shiatsu


Les origines du Shiatsu sont multiples...  parmi elles, l'Anma est à mettre en avant.

Mes premières lectures sur le Shiatsu mentionnaient l'Anma et l'Ampuku comme deux types de massage à l'origine du Shiatsu, sans plus.

La recherche et la réflexion avançant, cela s'avère un peu plus compliqué que cela.

L'Anma à l'origine de tous les types de Shiatsu


M. Serizawa, dans son livre de référence 'Tsubo : vital points for oriental Therapy' (p. 53) nous dit que « toutes les écoles de Shiatsu se sont développées à partir de l’ancien et traditionnel massage Anma (tant les principes que la pratique), auquel se sont ajoutées des techniques de mains propres au judo (comme le kappô,  et le Do In) ».

Cela nous incite à regarder de plus près ce que peut bien être l'Anma.

D'abord l'étymologie, évidemment.

按 signifie tenir

摩 signifie polir, gratter, frotter, friction

Les fins observateurs parmi vous auront vu que les deux caractères contiennent le signe de la main 手, il s'agit donc bien d'une technique manuelle et le mot se traduit simplement par massage.


Un masseur étant alors un 按摩さん, anma san, Monsieur Masseur, titre dont se pare Takeshi Kitano dans le film 'Zatoichi', où il incarne précisément un aveugle masseur de profession.

L'Anma était en effet une profession exercée par les aveugles, dont la société ne savait que faire et qui devaient gagner leur vie comme les autres... Il n'y a pas que des questions de sensibilité du toucher, la société japonaise n'a jamais eu d'états d'âme.

Grandeur et décadence


Comme tant d'autres techniques, l'Anma a été importé de Chine (où il s'appelait Anmo) à une époque ancienne 
(8ème siècle probablement). Structuré au 14ème siècle, puis popularisé par le grand acupuncteur Sugiyama Waichi, il a connu des fortunes diverses au cours du temps, avant d’être déconsidéré complètement puis fortement réglementé à l’ère Meiji (1868-1912).

A cette époque, le Japon a tourné le dos à ses traditions les plus anciennes et rangé au rang de vieilleries quantité de trésors, dont l'Anma. L'arrivée de techniques de massage occidentales en a également quelque peu altéré l'esprit, le reléguant au rang d'une technique de bien-être.

Mais l’Anma existe encore aujourd’hui au Japon à travers plusieurs grandes écoles
 et, en tant qu’art ancien resté très japonais, il est difficile d’accès pour nous. Il y a toutefois des écoles et des praticiens en Occident, comme la Sojha School of Japanese HealingArts aux Etats-Unis. On y trouve de bonnes informations sur l'Anma.

Il existe enfin des avatars modernes occidentaux comme le ‘Amma assis’, fondé aux Etats-Unis dans les années ’80 et que l’on amalgame facilement avec le Shiatsu assis sur chaise. On trouve également « Anma Shiatsu », ce qui est franchement étrange. 


A l'époque de l'apparition du Shiatsu (début 20ème siècle), il n'était pas question de faire explicitement référence à un art traditionnel sous peine justement d'être taxé de rétrograde, voire de se faire interdire, et le Shiatsu prit ses distances. 

M. Masunaga, dans 'Shiatsu et Médecine Orientale' (p. 111) nous précise d’ailleurs que « le Shiatsu avait fait du slogan ‘le Shiatsu n’est pas l’Anma’ sa formule de guerre » (!)  afin de faire avancer la mise au point d’une législation et qu’il avait emprunté pour cette raison sa théorie à la médecine occidentale.

Rien à voir avec le Shiatsu, vraiment ? 


Pourquoi s'intéresser à ce point à l'Anma ? Considérons ses techniques principales : 

  • Kei Satsu Hô - 軽擦法 -Techniques légères de frottement
  • Ju Nen (Ju Netsu) Hô -  柔念法 - Techniques de pétrissage
  • Shin Sen Hô  - 振せ法– Techniques de vibration
  • Appaku Hô - 圧迫法 – Techniques de pression
  • Ko Da Hô  - 卯打法 – Techniques de percussion
  • Kyoku Te Hô - 曲手法 – Techniques spéciales de percussion (littéralement ‘de la main baissée’ ou ‘mélodieuse’)
  • Un Do Hô - 運動法 – Techniques de mobilisation, d’étirement et de réhabilitation
  • Kyo Satsu Hô - 強擦法 ou An Netsu Hô – Techniques de frottement et rotation avec  forte pression
  • Ha Aku Hô - 把握法 – Techniques de saisie et de compression /serrage

Cela fait furieusement penser aux techniques pratiquées actuellement dans le Shiatsu.  Shiatsu signifie certes « pression avec les doigts », mais nous pratiquons frottements, pétrissage, percussions, mobilisations...  qui  descendent donc visiblement en droite ligne de l’Anma.

Certains n’hésitent donc pas à dire que la combinaison de techniques d’Anma au Japon a fini par donner le Shiatsu, de même que l’Anmo en Chine a généré le Tuina (à l’époque des Tang, 600-900 environ).

Un autre élément nous met la puce à l'oreille. M. Masunaga (Shiatsu et Médecine Orientale, p. 99) nous raconte en effet que M. Namikoshi, figure majeure des débuts du Shiatsu, 
exerçait d’abord en qualité de thérapeute d’Appaku Hô (une des branches de l’Anma). Il adopta ensuite le nom « Shiatsu », car « l’ayant entendu par hasard, il trouvait ce titre bon ». Or, nous venons de parler de la nécessité de se démarquer du passé et nous savons qu'une des grandes qualités de M. Namikoshi (outre son Shiatsu) était de sentir l'air du temps.

Il semble donc clair que l’Anma,est une source majeure de la pratique du Shiatsu et les investigations de ce côté seront les bienvenues, car elles nous apprendront beaucoup sur les sous-jacents au Shiatsu et l'esprit dans lequel le pratiquer. 


Plus d'infos sur les origines et influences du Shiatsu dans mon livre 'Le Shiatsu - Un Art Japonais', aux éditions du Renard Blanc.