Thursday, 22 December 2016

Réflexions de fin d'année et de renouveau autour d’un bol de thé matcha


L’après-midi est tranquille. Je m’installe au salon. Devant moi, du thé japonais matcha, moulu patiemment à la meule de pierre, au goût si vert et si minéral, battu avec le petit fouet en bambou et servi dans ce beau bol en bois de chêne acheté un jour au Japon. En accompagnement, un morceau de chocolat 100% à base de fèves criollo, les cacaoyers natifs d’Amérique latine qui donnent un chocolat pâle et légèrement acidulé.

Pas n’importe quel thé, pas n’importe quel bol, pas n’importe quel chocolat. Snobisme ? Ce serait jugement. Choix délibéré, plutôt, de la qualité et de la beauté, choses inscrites dans les gènes au Japon, pays du shiatsu. Choix de l’attention, au sens bouddhiste, à ce que l’on mange et boit, par respect pour ce que la nature et le savoir-faire des hommes a produit, en harmonie. Conscience du bonheur d’être au XXIème siècle et de pouvoir bénéficier facilement de ces belles et bonnes choses. Gratitude.

Ce n’est pas tant qu’il faille attribuer un sens aux actes banals du quotidien, tels que manger, boire, se laver, s’étirer, se promener, ou se tenir simplement en silence. C’est question d’attention et d’intention.

L'attention

La pleine attention consiste à tenter de devenir conscient à tout ce qui est là. Thich Nhat Hanh, moine Zen coréen célèbre par son enseignement, raconte ainsi un exercice de pleine attention au départ d’une tasse de thé. En se concentrant, on peut remonter à la genèse même du thé que l’on boit : le travail des hommes, la pluie, le soleil et le vent sur le théier, le passage des 4 saisons,  les oiseaux qui s’y posent, son enracinement dans la terre, les feuilles qui poussent. Quand on a remonté tout l’enchaînement des causes et effets qui ont produit cette tasse de thé (idem pour la tasse et pour l‘eau), on est conscient de ce que l’on boit, et l’attention se poursuit après sur les sensations dans le corps.

En traitement shiatsu, nous tentons de même d’atteindre cet état de pleine attention pour la personne qui vient nous voir, dans l’écoute, la non-interprétation, le non-jugement, l’ouverture à ce qui est là. Lors d’un récent stage de Seiki Soho, avec Frans Copers, il y avait aussi cette attention totale à ce qui est là, et tout à coup, la main s’en va, spontanément, toucher l’endroit qui « appelle ». En Seiki, il est question là de résonance, ce qui vient faire vibrer nos fibres les plus profondes.

L'intention

Quand on prête attention aux actes du quotidien, on peut aussi les accomplir avec une intention. Je dirais presque les offrir, les dédier à quelque chose ou quelqu’un, ou simplement les accomplir en gratitude. En shiatsu semblablement, on peut mettre une intention dans son travail, ou aucune intention, pour laisser s’exprimer le corps qui reçoit.  Masunaga dit que l’intention suffit, d’autres disent qu’il n’en faut pas. Cela dépendra du moment et de la personne, mais au minimum, la bienveillance sera l’intention profonde. L’état de bienveillance et de gratitude est très puissant. Alors, l’esprit Shin (qui est, notamment, l’entité psychologique, harmonisante, correspondant au cœur) peut s’exprimer pleinement et la joie est présente. Joie ou jubilation ? Les théologiens disent que la prière de louange est la plus puissante, car elle est désintéressée. Quand on dit merci, c’est pour quelque chose et à quelqu’un. On peut être dans la gratitude pour tout et rien, sans raison précise. On peut s’adresser à Dieu, aux bouddhas, à tous les Kamis, ou à personne. Peu importe, c’est question d’affinités. L’important est le ressenti, l’état. « Have fun », dit Ajahn Brahm.

Le contentement

Ajahn Brahm est un abbé bouddhiste theravada qui écrit beaucoup de livres et donne beaucoup de conférences. Il parle du contentement et c’est la première fois que je rencontre ce terme dans un contexte bouddhiste. Le contentement est un état profond.  Se sentir content, à tout moment, c’est être reconnecté à l’instant présent, avoir laissé aller le passé et le futur, et les angoisses qui vont avec, et juste se sentir bien. Les  personnes qui viennent régulièrement en shiatsu me le disent : elles se sentent bien, et n’ont pas d’explications à cet état. Il n’y en a pas, ou il y en a autant que de personnes, peu importe. Si à la première question, « comment allez-vous ? », la réponse est « je vais bien » (et que c’est vrai J), le shiatsu prend tout son sens premier : faire en sorte que cela reste ainsi. Seul un travail régulier permet d’atteindre cet état de bien-être.

Partis d’une tasse de thé et d’un morceau de chocolat, nous voilà bien loin. C’est que tout est lié, tout est interdépendant et les analogies chères aux proto-Chinois, ou les correspondances chères à Baudelaire, pour prendre une référence occidentale, sont bien là.

Pratiquer le shiatsu amène à vivre autrement

En quête de qualité, en pleine présence, l’expérience est plus intense et donc, l’aspect quantitatif disparaît. Cela n’aurait aucun sens de boire 5 bols de thé et de manger toute la tablette de chocolat. Le corps n’a pas besoin de ces quantités-là, et si on le laisse s’exprimer, ce ne sera même pas possible. La quantité vient compenser le manque de qualité, cela se vérifie avec la nourriture de mauvaise qualité. En conséquence, nous n’aurons plus besoin de manger autant si nous optons pour la qualité et l’intensité, et nous pourrons nous offrir des choses meilleures. C’est Jean Rofidal, dans son livre « l’art du Do In » qui fait l‘éloge de la frugalité. Avoir toujours un peu faim donne de l’énergie et améliore la qualité de la vie. Etre toujours rassasié ou saturé ramollit et suscite l’égoïsme (pendant la digestion, l’organisme n’est tourné que vers lui-même). « Avoir l’estomac vide le plus longtemps possible est une bonne condition pour être libre, pour être tourné vers le monde, pour pouvoir donner ».

En ces périodes de fête, voilà qui donne à penser. Même si, comme le dit François Couplan, champion de l’alimentation par les plantes sauvages, un bon excès quelques fois par an fait partie des choses naturelles. Le problème, c’est d’être toute l’année en sur-consommation et de tenter des sevrages ponctuels. Il vaut donc mieux, de façon plus ou moins constante, rester dans la frugalité. Si nous pratiquons le shiatsu, nous savons bien qu’un extrême appelle l’autre, trop peu engendre trop et trop implique trop peu ailleurs.

Puisque nous parlons des fêtes et du sentiment d’interdépendance avec le vivant, il me vient à l’esprit d’appliquer la méthode de la tasse de thé aux mets traditionnels de fin d’année : foie gras, homards et autres dindons de la farce. On peut d’ailleurs le faire avec tout ce qu’on mange. Si cette méditation nous amène à la maltraitance et la souffrance animale, à l’exploitation et la prédation de la nature, au saccage ou à la pollution du vivant, à des traitements non-équitables… se pose la question de savoir si ingérer tout ce ressenti négatif et toute cette souffrance nous fera du bien. Chacun verra pour lui-même. Mais la sagesse derrière la pratique du shiatsu viendra de plus en plus nous titiller, et nous rapprocher de la bienveillance, de la compassion, de l’attention à la Nature, à toutes les créatures et à soi-même…

Que ces fêtes soient de belles fêtes, et vous amènent tous et toutes sans encombrent au renouveau du calendrier et de l’énergie qui repart vers de nouveaux sommets.
 
Meilleurs voeux

Wednesday, 14 December 2016

Le bore out : mourir d’ennui, ou presque


 Klara a dû arrêter de travailler. Diagnostic : bore out. Le bore out, c’est ce « syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui ». Le travail est tellement inintéressant, ou rare, qu’on s’ennuie, on ne se sent pas valorisé, et donc, on perd toute estime de soi, rien n’a plus de sens, on déprime, on est fatigué, on devient irritable, on n’arrive plus à dormir… Evidemment, le corps envoie des signaux d’alarme par tous les côtés. A priori, le bore out est le contraire du burn out, où on a tellement à faire qu’on craque, mais la conséquence est semblable : pendant une longue période de temps, on n’est plus capable de travailler.

Un problème de management

Il semblerait que 15% des employés s’ennuient au bureau. Le Dr Luc Swinnen, qui est une autorité en matière de stress management et de bien-être au travail (www.stressmanagement.be) questionne (article dans Jobat) la responsabilité du management, qui ne prête pas suffisamment attention à ces signaux, et n’est pas attentif à déléguer des tâches intéressantes. Pour lui, un remède consiste dès lors, pour l’employé en bore out, à être assertif et à revendiquer du travail ou du travail plus intéressant. Le problème, c’est que l’énergie manque souvent pour ce faire. Et j’ajouterais que l’on est souvent confronté, en plus, à un conflit de personnes. Devenue « indésirable », la personne en bore out est tenue à l’écart par un responsable. J’en ai même connu à qui on disait de rester chez eux, tout en étant payés. Tout comme le Dr Swinnen, je pointerais d’abord du doigt le management car c’est un poste à responsabilités, y compris celle d’anticiper et de résoudre les problèmes, où que se trouve la « faute ».

Toutefois, la littérature professionnelle et l’expérience montrent qu’il y a peu de chance de faire bouger le management (le middle management représentant trèèèèèèès souvent la pire couche d’immobilisme en entreprise ou en institution). La meilleure solution consiste en fait à partir de là. C’est ce qu’a fait Klara.  Elle et son employeur se sont quittés, pour reprendre le ton souvent hypocrite des communications d’entreprise, « de commun accord » et elle est maintenant à la recherche « d’un nouveau défi ». Enfin, cela, justement, reste à voir.

Car, malgré tous les efforts qu’elle fait pour se remotiver et se remettre à la recherche d’un travail, Klara n’y arrive pas vraiment. Elle ne voit rien d’intéressant dans les annonces, ne voit d’ailleurs pas bien quoi faire et n’a pas d’énergie pour entreprendre grand-chose. De plus, elle subit la pression de son entourage qui trouve qu’elle est restée suffisamment longtemps à la maison, qu’elle n’est pas malade, et qu’il serait temps de s’y remettre.
Changer de vie

Parmi les personnes qui viennent en shiatsu, nous avons évidemment des personnes qui, comme Klara, et à des degrés divers, font face à un changement de vie. Ce que bore out et burn out viennent nous dire, généralement, c’est : il est temps de changer de vie. Sinon ? Il y a de fortes chances que de multiples maux vont se déclarer, ou que les symptômes vont s’aggraver. Quand on est en bore out, sans énergie, c’est d’ailleurs qu’on a déjà nié les premiers symptômes.

Souvent, le médecin, à juste titre, a donné plusieurs mois (reconductibles) à la maison et, parfois, ces personnes ont entamé une psychothérapie ou un travail sur soi leur permettant d’explorer ce qui est là. Il est clair que la première chose à faire, c’est l’éloignement d’un environnement devenu toxique. En parallèle, il y a la reconquête du temps pour soi. Avec tous les pièges d’être à la maison, quand il s’agit de femmes, qui redeviennent des mères au foyer. Ce job-là à temps plein ne leur permet justement pas de se retrouver. De plus, il y a la pression sociale, comme dans le cas de Klara, les amis ou la famille qui trouvent qu’il est temps de retourner travailler. Là aussi, il va falloir la force de dire non.
Les mesures d'urgence : faire le vide et éloigner les toxiques

Le problème, comme au travail, c’est que de la force, justement, il n’y en a plus dans ces moments-là, pour claquer la porte, prendre de la distance, mettre des barrières. Il faut absolument du temps, et du temps rien que pour soi. La personne en bore out est arrivée à un extrême, est envahie de partout, et il faut expulser les envahisseurs.
Je félicite toujours ceux et celles qui m’avouent leur préavis de façon un peu honteuse, et je m’en réjouis avec eux : c’est sans doute une des plus belles années de leur vie. Payés pour se reconvertir, magnifique ! Ces derniers temps, il y a en plus cette autre pression politique de l’obligation de travailler, toujours plus, toujours plus longtemps et pour moins d’argent. Actuellement, il ne surgit plus que des politiciens en costume et à la mine sombres pour nous dire de travailler et de consommer en oubliant de vivre. Il est urgent de dire que non merci, et de travailler non pas à la survie d’un système qui coince de tous les côtés, mais à l’émergence d’un nouveau système. On me rétorque déjà : il faut bien avoir de l’argent. Exact, et on attend que se lèvent les vrais réformateurs qui mettront fin au non-sens ambiant et rendront à l’homme sa dignité, avec la satisfaction de faire des choses bien rémunérées qui font vraiment progresser l’humanité tout en préservant la planète.

Il y a nécessité donc de faire le vide, de se tenir à l’écart d’environnements et de personnes toxiques. Il vaudrait mieux partir seul(e), un certain temps. Quand on crée de l’espace en soi, uniquement, quelque chose de nouveau peut surgir. Jamais là où les décombres d’une ancienne vie encombrent.
Voilà pour les mesures d’urgence.

Libérer et reconstruire, avec l'aide du shiatsu

Plus qu'un traitement, le shiatsu est un art de vivre. En pratiquant ou simplement en recevant le shiatsu, la façon de vivre évolue, on comprend les choses autrement.
Il suffit de bien regarder le corps pour se rendre compte que nous ne sommes pas faits pour vivre de façon confinée, assis devant un écran, les sens émoussés, à faire des choses dont le sens souvent nous échappe. Nous sommes des coureurs des bois, cela n’a pas changé depuis la Préhistoire, nous avons besoin d’air, de mouvement. Plus nous sommes sédentaires, plus nous nous affaiblissons. Nous mangeons trop, et n’importe quoi, cela n’arrange rien.  Et nous sommes perpétuellement bombardés d’informations inutiles, angoissantes, avec la peur du lendemain.

Pour le bore out comme pour tout, si l’on considère les flux d’énergie, rien ne sert de s’obstiner dans ce qui bloque. Le perpétuel balancement du Yin et du Yang vient nous l’apprendre. Lorsqu’une polarité est à son maximum, l’autre est déjà présente et grandit. Il importe de discerner ce qui est déjà là et réclame de grandir. Jung parlait déjà de ce type de crise, qui arrive souvent vers la quarantaine. Il est temps de regarder l’autre versant et de se demander s’il n’est pas temps de faire autre chose, de faire moins, de faire autrement ou… de ne plus rien faire (de semblable).

Venir en shiatsu va permettre de libérer et de reconstruire. Il y aura sans doute un nécessaire passage par le lâcher-prise. On constatera peut-être que le « kikai », mer d’énergie vitale, est faible, tandis que le plexus est trop tendu. En d’autres termes, il y a déséquilibre, tensions, l’énergie est trop haut.  

Un bon travail de fond, sur Reins, Foie sera sans doute à sa place. Et nous n’oublierons pas l’énergie des Poumons, souvent perturbée, à cause de l’envahissement, parfois même la peau montre des rougeurs.  Ce sont des considérations générales, car chaque personne est différente et on ne peut vraiment juger que sur place.

Tout dépendra aussi du moment. Quand Klara me dit, en décembre, qu’elle a envie de rester chez elle et pas de courir les entretiens d’embauche, elle est 100 % à l’écoute de son corps et en harmonie avec l’énergie ambiante. On n’entreprend pas de grandes choses en hiver, on laisse monter les idées pour dans quelques mois, quand l’énergie reviendra. Le shiatsu permet de débloquer, et de déculpabiliser, aussi.

Je n’hésite pas non plus à conseiller de regarder ce qu’on a laissé de côté dans sa vie : un talent artistique, une activité manuelle, une aptitude sacrifiée à son métier et à la nécessité de gagner sa vie. C’est le moment de laisser surgir tout cela. Les longues promenades dans la nature seront également bénéfiques, par le travail qu’elles accomplissent toutes seules sur les poumons, les intestins, l’espacement des pensées…  

Le shiatsu offre donc une large palette  de solutions et permet toute une série de choses : écoute, lâcher-prise, soin de soi, relaxation, centrage, stimulation de l’énergie. On met littéralement le doigt sur ce qui ne va pas, et comme dit Kishi Sensei on enlève les pierres au milieu du ruisseau.

Même si il eût été préférable, dans ce cas comme dans tout autre, d’avoir commencé le shiatsu « quand tout va bien », car cela aurait sans doute permis d’éviter la cassure et d’assurer une transition plus en douceur.