Friday, 15 July 2022

Vers qui aller ?

Parfois, diverses lectures ou conversations se recoupent sur un même thème. Comme pour dire : c’est le moment de réfléchir à cela. Deux lectures récentes m’amènent à vous partager quelques réflexions sur le choix de nos praticiens et enseignants.

Nous sommes tous confrontés à la question du choix des bons praticiens, enseignants, guides…  Vers qui aller ? Comment être sûr de rencontrer quelqu’un de valeur avec une transmission et une pratique authentiques ?

Less is more, en matière d'info


Ainsi, je lis dans la préface du dernier livre de Maître Kawada ‘Shiatsu & Santé’  (écrite par le professeur Frédéric Thys, directeur de la collection Santé chez Mardaga) : ‘ Sur un sujet aussi particulier (le Shiatsu), face à la multitude de sources d’informations consultables sous toutes les formes (réseaux sociaux, blogs, Web, podcasts, conférences, télévision, magazines), il est difficile de déterminer si les contenus sont fiables, validés par des experts, ou douteux. Retrouver son chemin et un esprit critique dans cette info-obésité qui nous pousse à appréhender beaucoup de données dans un temps de plus en plus court est parfois bien ardu’.

Holà ! N’y aurait-il pas un avertissement de la part d’un éditeur ayant pignon sur rue ? Si nous voulons être crédibles, il faut arrêter de s’étaler avec une grande quantité de publications (la quantité faisant baisser, toujours, la qualité) et si on n’a rien de particulier à dire, attendre d’avoir un vrai sujet avec une approche rigoureuse ?  C’est en tout cas notre parti pris avec le groupe Ôdô  Shiatsu Community.

Travailler à notre crédibilité


Et, poursuit le Pr Thys, ‘c’est pour cette raison que nous avons confié à Maître Yuichi Kawada la responsabilité de cet ouvrage, car il est reconnu pour pratiquer cette discipline avec la connaissance profonde de ses limites dans des hôpitaux belges exigeants sur la rigueur des soins proposés’.

Tous les mots sont ici importants : pour être crédible, il s’agit de

  1. Pratiquer ;

  2. Une discipline, càd quelque chose qui exige du travail sur soi, un cadre, une technique ;

  3. Avoir la connaissance profonde de ses limites, càd l’humilité face à ce que l’on peut faire ou non avec notre pratique ;

  4. Parce que les clients sont exigeants sur la rigueur des soins. L’exemple des hôpitaux ne change rien à l’affaire. Tout le monde ne pratique pas en hôpital, comme Maître Kawada, mais tous nos clients méritent la rigueur des soins proposés.

Nous nous plaignons volontiers que la communauté scientifique et médicale démontre peu d’intérêt envers le Shiatsu, mais il y a là peut-être quelques indices qui pourraient favoriser un rapprochement et des collaborations, toujours souhaitables.

La surabondance des formations


Une deuxième piste de réflexion se présente à moi au même moment à travers le livre de Daniel Odier ‘Le grand sommeil des Eveillés’. Daniel Odier a une longue pratique spirituelle à travers les traditions cachemirienne et Chan (devenu le Zen au Japon), mais ce qu’il observe sur l’enseignement de ces disciplines est tout autant pertinent et applicable au domaine des soins dits ‘alternatifs’ et des formations qui sont dispensées.

Attention ! Car il est trash, cash et décapant, mais justement, cet iconoclasme éveille les consciences.

Ainsi, nous dit-il, ‘ Nous sommes aujourd’hui submergés par l’abondance des messages et des enseignants. Il y aura bientôt un maître spirituel pour 3 habitants et chacun sera au fait d’une demi-douzaine de voies promettant la délivrance. Mais la délivrance de quoi ? De la dépendance, de la souffrance, de la solitude ? Certainement pas. Tout est à notre disposition, mais notre boulimie spirituelle nous pousse à une compréhension artificielle qui nous fait échouer dans notre recherche’.


Allusion claire au zapping, au shopping si souvent observé, avec la tentation de toucher à tout sans se tenir à rien. Slogan célèbre jadis à la télé : ‘Du fromage belge… un peu de tout !’

Il poursuit : ‘Obsédés par le temps, nous nous fourvoyons. Il ne suffit pas de s’acheter un tambour pour devenir chaman, d’entendre des voix pour communiquer avec les maîtres d’antan, de s’asseoir en méditation pour perdre ses illusions’.

Toute ressemblance avec des situations existantes serait purement fortuite…

La qualité très diverse des enseignants

Et il continue avec les enseignants, cette fois : ‘ Nous sommes manipulés par des pseudo-sages qui arborent un éveil de pacotille collé à un ego surdimensionné. Ces illuminés prennent soin de nous faire glisser dans un système qui nous lie pieds et poings au devenir. Les jeunes loups-gourous s’éveillent en trois stages d’été et quittent leur emploi pour enseigner prématurément. Les vieux renards veillent au grain en appointant parcimonieusement des être plus médiocres qu’eux-mêmes pour être certains qu’on ne les oubliera pas. La plupart des scélérats qui font métier d’enseigner ne transmettent que leur propre désarroi pour continuer à gagner leur vie et satisfaire leur ambition’.

Nous voilà bien avertis sur les dérives possibles dès que nous enseignons quelque chose. Examen de conscience et discernement nécessaires…

Daniel Odier place ensuite sous une lumière crue certaines dérives bien connues (sous le manteau) autour de la figure du ‘Maître’, que ce soit dans les branches spirituelles, les arts martiaux ou autres pratiques… Vous lirez cela si, comme moi, vous vous délectez de ce ton libre et sans détours. Il est, au fond, un miroir. Il s’agit de se regarder chaque matin dans le miroir et de soutenir notre regard. Pas de pointer le doigt vers les autres.


Comment reconnaître les bons ?


Que ferait alors un bon enseignant, maître, praticien, appelons-les comme on veut.

‘Qui parle du grand nettoyage, de celui qui se fait hors de la dépendance, de l’effarement, de la peur, en ne comptant sur personne que sur soi-même ? Evidemment, impossible de construire un empire sur de pareilles idées.’

Dans la pratique du Shiatsu, notre but ne peut être de fidéliser à outrance ou de retenir nos clients, mais précisément de leur rendre leur autonomie. De même que c’est le corps des clients qui fait l’auto-guérison, pas nous. Nous, nous aidons, nous accompagnons. Cette semaine, une cliente me dit comme en s’excusant : ‘je vais maintenant essayer quelque temps par moi-même’. C’est très réjouissant d’entendre cela : elle reprend la direction du travail sur soi grâce au travail que nous avons fait sur le corps. Elle viendra moins souvent. C'est fort bon signe. 

Daniel Odier ajoute encore cette très belle phrase : ‘Je prends le parti de ceux qui cherchent et doute de ceux qui ont trouvé, car ils sont morts’. L’humilité consiste à partager notre recherche et à ne jamais l’arrêter. Les affirmations péremptoires comme quoi ‘voilà comment il faut faire’ devraient résonner en nous comme des signaux d’alarme. La pratique, nécessairement, évolue sans cesse.

Alors voilà, en cette période de surabondance de stages, formations en tous genres qui vous promettent des tas de choses… je vous souhaite d’exercer votre discernement, de garder votre indépendance d’esprit et de vous abreuver aux bonnes sources.

Car avant de travailler sur les autres, il s’agit de travailler sur soi.



Bon été !