Sunday 4 October 2020

Le long chemin des méridiens - Regards japonais et utilisation en cabinet

Maintenant que l’étymologie nous a fait comprendre ce que l’on veut dire par ‘méridien’ (article précédent), considérons l’usage que l’on peut en faire.

Et puisque nous pratiquons un art japonais, intéressons-nous à des spécialistes au Japon.

Trois regards japonais sur les méridiens


Katsusuke Serizawa


Le Monsieur Tsubo cité dans un récent article, M. Serizawa, ne s’intéresse pas tellement aux méridiens mais ne les nie pas pour autant. Il part des organes et des entrailles, qui contrôlent le corps humain. L’énergie pour leur fonctionnement correct est fournie par un système total divisé en un système par organe. Les systèmes sont appelés méridiens, et il y en a donc 12. Des déficiences ou excès d’énergie dans ces systèmes déterminent si la personne est en bonne santé ou malade.

En outre, il y a 8 sous-systèmes dans le corps qui rendent possible les ajustements des intensités de l’énergie dans les 12 systèmes de base.  Ces sous-systèmes sont appelés keimyaku, ou vaisseaux. Les systèmes et sous-systèmes transportent le sang et l’énergie à travers le corps (KI Energie気  KETSU sang ).

Parmi les causes de maladies, les situations mentales et émotionnelles sont extrêmement importantes, avec dans leur sillage les soucis familiaux, les souffrances mentales résultant de divers désirs (succès, avidité, trop de sexe et d’alcool) qui génèrent des maladies. Les causes ne sont jamais exclusivement internes ou externes. La stagnation du flux d’énergie dans les systèmes de méridiens et le mauvais fonctionnement des organes et des tissus du corps produisent divers symptômes pathologiques.

Pour trouver le bon tsubo à traiter, il faut connaître le système de méridiens affecté, qui révèle l’origine du problème (et non se limiter au symptôme). Un mal d’estomac peut provenir du Foie, des Poumons, etc. Et c’est pourquoi la médecine orientale traite chacun comme un cas individuel.

Après, les traitements de M. Serizawa sont basés sur des kata de points, pour lesquels il utilise évidemment la numérotation par méridien, mais les noms… en Chinois. Allez comprendre pourquoi...

Shizuto Masunaga

A la base du shiatsu plutôt axé sur les méridiens de M. Masunaga, se trouve en fait un ressenti

Dans ‘Shiatsu et Médecine Orientale’, il nous dit ‘les méridiens que j’expérimentais ne concordaient pas avec ceux du traité classique. Il était incompréhensible  que les méridiens soient représentés comme de simples lignes reliant les Keiketsu. Il était curieux que du point de vue de  l’activité d’êtres plastiques les méridiens se présentent sous la forme de lignes toutes droites ou fassent de brusques détours. On en vient à la conclusion que la carte classique des méridiens est une carte simplifiée dans un but de facilité pour le traitement et que celle-ci a été tracée en faisant des keiketsu – les points de pratique – l’élément essentiel.  

Dès lors rien ne devrait s’opposer à ce qu’on ajoute des méridiens dont les réactions sont sensibles et qui se révèlent efficaces. Et de même, rien n’interdit d’appuyer entre les keiketsu classiques et on trouve de nombreux tsubo qui donnent au sujet une sensation de bien-être'.

Et, en bon chercheur, M. Masunaga a voulu, comme il dit, ‘ appréhender sur moi-même les trajets de

circulation des méridiens, comme une sensation de quelque chose qui s’écoulerait dans le corps’.  

Cette sensation du corps est à la base de ses exercices des méridiens (keiraku taisô) puisqu’il ajoute ‘je me suis rendu compte  que par des mouvements souples et lents, il me devenait possible de percevoir ceux-ci’ (les méridiens).  Ajoutant ‘je suis finalement parvenu à trouver six postures’ et ‘leur ressemblance avec les exercices de Jikyôjutsu (mélange de Dô In et de gymnastique moderne) est tout à fait fortuite’. (Et, au risque d'insister : ils n'ont rien à voir avec le Makkô Hô).

Mais on entrevoit là une constante dans la façon de mouvoir son corps, qui ne renforce aucunement les muscles ou le squelette (ces exercices étant qualifiés d’intellectuels), mais met en jeu les six sortes de systèmes fonctionnels de l’ensemble du corps.

Et donc, le mouvement se fait dans les directions vers lesquelles se dirige le Ki-Ketsu : devant, extérieur, intérieur, derrière, surface, profondeur et les côtés. Là où manque le Ki-Ketsu, c’est Kyô. Là où il stagne, c’est Jitsu.

Et il ajoute que comme les méridiens sont des systèmes qui enregistrent toute altération survenant dans l’organisme, procéder à la remise en ordre de ceux-ci revient à faire le traitement holistique du corps tel que l’envisage la médecine orientale.

C’est donc une autre vision, même si on utilise encore les tsubo.

On ne part pas des symptômes, mais d’altération pathologique de l’ensemble de l’organisme, le traitement est holistique.

On fait confiance à son ressenti pour trouver les endroits / les parcours à traiter

La vision est dynamique, elle considère le flux, ses directions et ses altérations, nous sommes en fait plus dans des circulations que dans des schémas statiques.

Que M. Masunaga ait complété /augmenté les trajets des méridiens classiques n’est pas entre-temps pour nous surprendre, puisque nous savons maintenant que les anciens traités mentionnent 32 méridiens KEI et 68 RAKU. Il serait intéressant de voir s’il a eu accès à et s’est inspiré de matériel existant, pour modéliser ou guider son ressenti.

Arrêtons-nous là, le but n’étant pas de réécrire un traité sur les méridiens, et examinons une troisième vision, plus contemporaine.

Ryokyu Endo

Ryokyu Endo propose lui aussi une vision axée sur les méridiens. Un homme aux multiples talents, puisqu’il est le créateur d’un style de shiatsu, le Tao Shiatsu, musicien,  moine Jodo (Terre Pure) au Wadenji de Kyoto…  (https://endo-ryokyu.com/). Son site mentionne sobrement qu’il a créé cette méthode, étant devenu capable, en pratiquant, de voir le mouvement du Ki et les méridiens.

Le Tao Shiatsu travaille sur les pressions, la posture et la stabilité, le mouvement du ki… et développe des techniques propres. Il définit les méridiens comme des courants du ki vital et aucune trace n’en subsiste donc après la mort. Les organes ne sont pas la vie, mais des outils qui étayent le corps physique. Les méridiens sont plus proches de l’essence de la Vie que les organes. Ainsi, dit-il ‘les méridiens sont liés à la vie invisible et l’anatomie nie leur existence’. L’essence de la Vie peut être perçue uniquement à travers de vraies sensations et le visible n’est qu’une portion infinitésimale.

Les méridiens forment la toile de fond des organes anatomiques et sont à l’origine de toutes les fonctions vitales. En quelque sorte, le courant d’énergie vitale, la Vie qui sous-tend le fonctionnement du corps. Vision intéressante, car elle nous invite à abandonner toute tentative d’explication anatomique et toute spéculation sur la détection scientifique des méridiens : on ne trouvera rien.

Si l’étude des méridiens doit suivre le tracé d’un diagramme, toutefois, ils sont difficiles à trouver en un emplacement précis, car ils sont caractérisés par leur changement incessant de position. Pour guérir les troubles, les thérapeutes doivent s’adapter au changement des méridiens, et donc développer leur réceptivité, devenir ‘comme des enfants’. Devenir capable, en fait, de percevoir la douleur ou la joie d’une autre personne comme les siennes propres.

Sa démarche est similaire à celle de M. Masunaga, tout en allant plus loin et il s'est fait, comme il dit,  ‘une idée nette’ de l’existence de 24 méridiens parcourant l’ensemble du corps. Ainsi, pour M. Endo :

  • Il est inconcevable que les méridiens s’arrêtent à un endroit donné, puisque la Vie circule à travers eux

  • Il est anormal que des méridiens montent par les cuisses et s’arrêtent à l’aine

  • Il y a douze méridiens sur chaque côté du dos

  • Les méridiens des bras et des jambes circulent en paires

  • Le Vaisseau Conception et le Gouverneur circulent aussi sur les bras et les jambes et la zone du dos.

Il donne une technique pour détecter les méridiens : ‘lorsqu’un thérapeute applique une pression (continue) sur deux points du même méridien, ces deux points doivent être ressentis comme un seul’. Après quelques secondes, le patient ne perçoit plus la pression que sur un seul point et non deux. A ce moment, vous avez trouvé un méridien. Voilà qui nous incite à chercher les connexions.

Quant aux tsubo utilisés en Tao Shiatsu (traduits par ‘creux physiologiques des méridiens’), ils n’ont pas de position anatomique précise, puisqu’ils changent en fonction des circonstances. Ils sont l’accès aux méridiens et importants pour les méridiens kyo situés à la fois en surface et en profondeur. Si on ne comprend pas les tsubo, au lieu d’être un aspect de la vie, les méridiens ne sont que des lignes courant à la surface du corps. Nous ne savons pas pourquoi de tels creux physiologiques apparaissent sur les méridiens, mais ils sont des points importants pour le traitement.

Ryokyu Endo ajoute que lorsque le concept de méridiens est exclu de méthodes thérapeutiques comme le shiatsu et l’acupuncture, ces pratiques ne peuvent plus entrer dans la catégorie de la médecine orientale. Les méridiens permettent de poser un diagnostic individuel et il s’agit donc de médecine, sinon ce sont des méthodes curatives

Le travail avec les classifications de maladies est occidental et le shiatsu basé sur ces diagnostics ne permet pas au thérapeute de décider vraiment du traitement et donc, d’en être responsable.

Trois visions intéressantes pour enrichir notre pratique, et qui ne s'excluent pas. Et il y a sans doute encore bien d’autres théories, classifications, utilisations de méridiens, existantes ou à venir…


La disparition des méridiens… et des points


La lecture de ce qui précède nous amène à une constatation intéressante sur l’impermanence des méridiens et des points.

Cela vient éclairer cette remarque faite un jour en stage par Maître Ohashi dans son stage sur la psychologie des méridiens : ‘le problème doit être assez visible pour pouvoir être traité. Lorsqu’il y a désir, focus, le méridien est présent. Lorsque c’est bien équilibré, le méridien disparaît’. Il rejoint ici M. Masunaga dans sa perception de la spatialité des méridiens et des directions du Ki Ketsu. Lorsque le but est atteint, le méridien disparaît. Et il ajoute que ‘tsubo, méridiens, tout cela est très subjectif. C’est notre chance et, en même temps, c’est une difficulté’. 

Pour Ryokyu Endo, les tsubo mêmes disparaissent car  ‘quand on applique une pression régulière et constante, les tsubo se remplissent de ki et disparaissent de la zone respective du corps’.

Donc, au fond, pourquoi nous préoccuper tellement de tout cela, puisque, le traitement terminé, on n’en parle plus ?

Et puis alors, on fait des points ou des méridiens, ou les deux ?

Deux approches, une pratique

Au terme de ces trois articles, il me semble donc que le besoin de classifier les shiatsu en shiatsu de méridiens et shiatsu de points est plutôt une manie d’Occidental et il apparaît clairement des quelques réflexions ci-dessus que les Japonais, quand ils privilégient les tsubo, n’oublient pas les méridiens, et, quand ils mettent en avant les méridiens, tiennent compte des tsubo. Et, dans notre pratique, il me semble également que nous faisons de même, sans avoir le besoin de trop y réfléchir.

Rappelez-vous, à la base déjà, le mot général KEIKETSU, traduit par ‘point’, intègre aussi bien le tsubo que la ligne verticale sur laquelle on le situe.

Il y a plusieurs angles d’approches qui ne s’excluent pas :

  • Occidental ET Oriental : gardons bien en tête que le shiatsu s’inspire des deux, et posons là que, peut-être, l’approche par points /symptômes /traitement parle plus facilement à un Occidental, tandis que le concept des Méridiens / ressenti lui est plus étranger et se rapproche plus de la médecine holistique orientale.

  • Chinois ET Japonais : nous avons vu que les Japonais, arrivant après les Chinois sur certaines conceptions d’origine chinoise, développent leur propre vision et considèrent d’autres approches. On ne peut donc pas se limiter à la vision purement chinoise si on fait du shiatsu, on doit se demander quelle est l’approche japonaise de la chose. Il y a un génie particulier propre aux Japonais. Les subtiles différences, déjà dans le choix des mots, expriment bien cela.

  • Energétique ET anatomique : les tsubo sont plus faciles à intégrer dans une approche anatomique / physiologique (en tout cas dans leur localisation classique), tandis que les méridiens sont de l’ordre du ressenti et de l’énergétique, anatomiquement ils sont et resteront sans doute indétectables. Cela nous délivre du besoin de nous expliquer…

  • Ressenti ET savoir, expérience ET apprentissage : si un savoir est évidemment nécessaire pour comprendre cette vision de l’humain et l’appliquer, il n’est qu’un panneau indicateur et le ressenti seul dira l’emplacement exact des tsubo et la qualité des méridiens à travailler.

Vous avez remarqué que je n’oppose pas ces visions par ‘ou’, mais que je mets un ‘ET’. ‘Ou’ n’a, philosophiquement, pas sa place dans une pratique orientale.

Dans la pratique quotidienne

Avec le temps, il me semble aussi qu’il y a plusieurs étapes, inévitablement, dans la pratique et l’évolution d’un praticien, qu’il s’agisse de tsubo, de méridiens, de tout concept, technique, ressenti…

Au début, on nous apprend évidemment le trajet des méridiens (classiques ou Masunaga selon les écoles), l’emplacement et l’affectation des points. Et, en bons élèves appliqués, quand nous travaillons sur quelqu’un et que nous décidons, par exemple, de faire le Poumon, nous faisons consciencieusement tout le méridien.

Au bout d’un temps, on se rend compte que ce n’est pas vraiment nécessaire, et on ne travaille plus que les points les plus importants, les Shu par exemple, ou des parties de méridiens qui font sens pour le problème en présence.

On nous apprend également des kata, càd des enchaînements de mouvements et de points, qui sont généralement de bonnes entrées en matière et de bonnes pratiques quand il n’y a pas de chose particulière à travailler. Après, nous inventons nos propres kata, et la seule mesure de leur pertinence est leur effet et leur efficacité.

J’en suis venu, finalement, tout en gardant la boîte à outils qui précède, à rechercher les connexions de points sur un même ou sur différents méridiens, et les mains font comme une promenade sur le corps le long des méridiens (ou pas), s’arrêtant où elles sentent que c’est nécessaire


La vision globale du corps et de ses couches énergétiques m’inspire actuellement beaucoup et donc, ne pas perdre de vue que les méridiens sont du Sud/Nord, Ciel/Terre est inspirant pour le travail. Le Vaisseau Ceinture venant tenir tout cela ensemble… Dimension spatiale du travail, et dimension temporelle dans le rythme, l’intensité des pressions.

Et je me réjouis de savoir qu’il y a d’autres voies à explorer, et d’autres étapes de développement à venir.

Un aspect essentiel restera toujours le ressenti des receveurs. Il arrive qu’en pressant certains points, le receveur indique des sensations à divers endroits du corps et, parfois, il indique exactement le trajet du méridien. Merveilleuse confirmation de leur existence et de la pertinence du travail en cours …

Travaille-t-on mal quand on commence le shiatsu et qu’on fait de façon hésitante ce qu’on vient d’apprendre ? Non, puisque, quand on commence, des clients viennent et cette façon de travailler leur convient, visiblement. L’essentiel va être dans le travail sur soi, l’ouverture, le ressenti, la présence, l’intention et l’attention, l’intensité de l’échange… et toujours SHOSHIN ‘le ressenti profond des premiers instants’, l’état d’esprit qui ne devrait jamais nous quitter.

N’oublions pas par ailleurs cette petite phrase assassine de M. Masunaga : ‘Cependant, même sans étudier beaucoup, on peut, néanmoins, obtenir de bons résultats, et même si on ne connaît pas bien la théorie, on ne court pas de grands risques. Un fait peut le prouver, c’est le peu d’efforts que font aujourd’hui  les thérapeutes de shiatsu, une fois leurs études terminées, pour continuer à apprendre et à lire des ouvrages, comme le font les acupuncteurs. Parce que, même si on manque les Tsubo et même si le degré des pressions n’est pas convenable, l’action des Tsubo se fait malgré tout ici ou là, quand on appuie plus fort un peu partout. Une telle façon de faire, cependant, rend impossible la prise des Tsubo efficaces pour les personnes réellement malades’.

Voilà qui est clair : peu importe le niveau, mais soyons conscients que

  • si nous nous trompons, ce n’est pas grave, il n’y a pas de risques
  • si nous sommes des feignants, nous ne serons pas vraiment efficaces.

Oh, les jolis paradoxes orientaux !

Je nous souhaite un bon travail, sur 12, 24, 32 ou 100 méridiens, entre keiketsu, tsubo, keiraku, myaku et autres termes inspirants qui vous sont familiers maintenant. 



 

Saturday 3 October 2020

Le long chemin des méridiens - Les racines


L’article précédent ouvrait quelques pistes sur la signification et l’utilisation des points. Et donc, puisque les ‘points’ se situent sur des ‘méridiens’, continuons l’analyse et  voyons, comme pour les points, où cela nous mène.

Restons fidèle à la méthode (Hô ) et commençons par l’étymologie, en Chinois et en Japonais.


Deux idéogrammes en Chinois


Les méridiens classiques sont désignés par l’idéogramme Chinois traditionnel JING 經. L’idéogramme est une association d’un fil de soie (ténu, presque invisible) et d’une eau coulant sous la terre (un courant en mouvement). Une troisième partie du caractère indique un homme au travail (une équerre). En Chinois simplifié, cet idéogramme devient.La constante à travers toutes les variantes étant l’idée de modèle, de norme.


Le fil de soie amène l’interprétation de la chaîne (verticale) d’un tissu. Un méridien est donc, pour Elisabeth Rochat de la Vallée (in ‘Les 101 notions-clés de la médecine chinoise’), ‘une norme qui parcourt un territoire pour le diriger dans son espace et selon les cycles du temps ; il règle les circulations des souffles (des Ki) et de tout ce qui se meut dans le corps et fait que tout chemine et échange harmonieusement et rythmiquement’.

Jing est toujours employé dans le sens d’une direction normative, ici l’orientation Sud-Nord, verticale, fondamentale, céleste, d’où le nom de méridien (sur la longitude).

Voyez ici la décomposition du Kanji. 

Jean Fabre (in ‘Les repères de l’Empereur Jaune’) donne comme définition ‘une ligne indiscernable, tant elle est ténue, où circule un fluide invisible'. Nous avons toujours les idées de ligne, d’écoulement invisible. C’est que le modèle des méridiens se trouve, apparemment, dans les cours d’eau qui organisent les territoires de la Chine et qui sont,  comme par hasard, au nombre de 12.
Et quand on désigne le système de méridiens, on ajoute un idéogramme 絡 et on dit jingluò.


Il y a un deuxième idéogramme prononcé MAI  qui désigne, lui, les Vaisseaux Curieux. 

L’idéogramme signifie circulation et on attribue à ces circulations le titre de méridien (puissance normative et régulation, donc). Le nom complet en Chinois est Qi  (extraordinaire, le même idéogramme que celui qui désigne les points hors méridien) Jing  (Méridien) Ba (Huit) Mai (Circulation). C’est pourquoi tous les vaisseaux curieux portent en Chinois le nom ‘Mai’ : Du Mai, Ren Mai, Chong Mai, Dai Mai, Yin et Yang Qiao Mai, Yin et Yang Wei Mai.


On ne considère donc pas la même chose, puisque pour les classiques, c’est la trame et l’organisation d’abord, puis la circulation et pour les Merveilleux, c’est la circulation d’abord, mais ils sont assimilés quand même à l’organisation.

Deux idéogrammes en Japonais

En Japonais, nous trouvons également deux idéogrammes différents.

Les classiques

Les méridiens classiques sont désignés comme des KEIRAKU 経絡, un mot composé de deux idéogrammes KEI   et RAKU 絡

A la base de KEI se trouve qui veut dire ‘système’, l’idéogramme complet étant et signifiant ‘longitude’, voire même ‘sutra’. C’est donc l’idée de l’organisation longitudinale (on lit verticalement les sutra sur des rouleaux, à l’origine), et c'est le même idéogramme que le Chinois simplifié, même si il s’écrit légèrement différemment, intégrant des idées de main droite et de sol.

M. Masunaga précise que l’idéogramme est une figuration de ‘fils tendus longitudinalement d’un métier à tisser’, d’où son utilisation pour désigner plus spécifiquement les 14 méridiens longitudinaux.

Il s'agit bien du même 'KEI' que celui que nous lisons dans KEIKETSU, traduit 'point' (rappelez-vous, des cavités sur des lignes verticales, voir article précédent).

Mais le mot pour ‘méridien’ en Japonais est KEIRAKU, donc, ils associent toujours à KEI un deuxième idéogramme : RAKU . Nous avons vu qu’en Chinois, ce même idéogramme réfère à ‘système’. Le dictionnaire japonais donne comme traduction ‘s’entrelacer, s’enchevêtrer, s’enrouler’, avec également une idée de relation et d’interaction. Y a-t-il un bug dans le métier à tisser ?

J’ai trouvé une fascinante information sur le blog de Billy Ristuccia, (Sojha School of Japanese Healing Arts,) praticien américain d’Anma et source précieuse pour les documents japonais. En fait, en disant, KEIRAKU, les Japonais gardent le souvenir d’un deuxième système de méridiens. 

Il y a, à l’origine, 100 trajets de méridiens, répartis en deux systèmes, les KEI et les RAKU.  

Le système KEI comprend 32 trajets :

  • 12 classiques
  • 12 méridiens divergents
  • 8 Méridiens extraordinaires
Le système RAKU comprend les … 68 autres, répartis eux-mêmes en diverses catégories et dont on sait fort peu de choses en Occident, puisque la littérature à leur sujet n’est quasi qu’en Chinois ou en Japonais, et puisque ces méridiens traitent des maladies qu’on ne voit que rarement dans les temps modernes. 

En disant KEIRAKU, les Japonais considèrent donc non seulement les méridiens comme un système, mais ils intègrent tous les méridiens imaginables, existant et ayant existé.

L'idée d'enchevêtrement contenue dans RAKU est d'ailleurs intéressante, dans l'optique où il y aurait 100 méridiens sur une si petite surface et pose la question de notre manie à tracer des lignes droites dans un corps qui n'en contient guère (de même que sur Terre ou dans l'Univers : nous voyons des lignes droites où il n'y en a pas, et nous construisons anguleux, c'est une obsession du cerveau gauche).

En entendant KEIRAKU, je me plais à visualiser un corps en 3D parcouru par des lignes emmêlées, courbes, spiralées, des vortex... plutôt qu'un plan en 2D avec des lignes tracées à la règle.

Les extraordinaires


Les Méridiens Extraordinaires sont désignés de la même façon qu’en Chine, sauf que ça se prononce différemment : Kikei Hachimyaku 奇経八脈. Donc littéralement : 'hors parcours système 8 circulations'.

Si l'idéogramme pour 'circulation'  est le même qu’en Chinois et se prononce 'myaku', quand on cherche l’étymologie, on trouve des connotations intéressantes. Un myaku  est en fait une pulsation, un flux, une veine, une chaîne de montagnes…Quand on parle de myaku, on considère donc le flux, et non la verticalité. Pour M. Masunaga, myaku est une ligne, un vaisseau circulant dans le corps ou même… un vaisseau sanguin.

A noter, pour compliquer les affaires, qu’on parle aussi des méridiens (classiques ou merveilleux) comme des ‘Keimyaku’, ou des ‘myaku-kei’ par quoi on évoque donc à la fois le système, la trame, et la circulation verticale dans le méridien 経脈.

Et enfin, puisque les Méridiens Extraordinaires sont des myaku, ils ont aussi un nom japonais en myaku que l’on n’utilise jamais, leur préférant les noms Chinois en Mai, pourquoi, on se le demande :

Français

Anglais

Chinois

Japonais

 

Vaisseau Conception

Conception Vessel

RenMai

Ninmyaku

 

Vaisseau gouverneur

Governing Vessel

DuMai

Tokumyaku

 

Vaisseau Carrefour

Through-going Vessel

ChongMai

Shiyô-myaku

 

Vaisseau Ceinture

Belt Vessel

DaiMai

Taimyaku

 

Vaisseau Equilibre Yang

Yang Ankle Vessel

Yang QiaoMai

Yokiyô-myaku

 

Vaisseau Equilibre Yin

Yin Ankle Vessel

Yin QiaoMai

Inkiyô-myaku

 

Vaisseau Liaison Yang

Yang Linking Vessel

Yang WeiMai

Yôi-myaku

 

Vaisseau Liaison Yin

Yin Linking Vessel

Yin WeiMai

Ini-myaku

 

 

La traduction par ‘méridien’.

TOUT CELA, ces termes divers, avec des connotations et des idées sous-jacentes différentes, Jing, Mai, Keiraku, Myaku, Keimyaku…, s’est vu attribuer une unique traduction en Français : méridien. On a, comme pour les points d’ailleurs, une belle perte de sens et de nuances en chemin.


Nous devons le mot ‘méridien’ à Georges Soulié de Morant, un des grands promoteurs de l’acupuncture en Europe, qui n’était pas médecin, mais … diplomate en Chine. Persuadé de l’efficacité de l’acupuncture, il a traduit divers textes chinois qu’il a réunis dans son ouvrage ‘l’acupuncture chinoise’. Le mot ‘méridien’ a fini par s’imposer par l’usage, et d’ailleurs dans d’autres langues.

Pour Jean Fabre (in ‘Les repères de l’Empereur Jaune’), continuateur de la pensée de Jacques-André Lavier, le terme méridien ne tient compte ni du fluide souterrain, ni de l’idée de succession des points, clairement évoquée dans l’idéogramme. Méridien est, de plus, un terme cartographique désignant des conventions linéaires pour séparer l’espace, ce qui ne figure en rien la réalité vivante de l’énergie des Jing.


Jacques-André Lavier avait d’ailleurs lui-même proposé le néologisme de ‘péridromie’ (in ‘Histoire, doctrine et pratique de l’acupuncture chinoise’). ‘Dromos’ signifiant en Grec  à la fois une course (il y a du mouvement là-dedans), mais aussi le parcours, le chemin, et le préfixe ‘peri’ ‘autour’, donc, des ‘parcours qui courent’ tout autour du corps. Ce mot n’a pas été adopté par la suite.

Pour les myaku, les traducteurs ont été plus créatifs, puisque on trouve des Méridiens extraordinaires, Merveilleux, Merveilleux Vaisseaux et Vaisseaux Curieux, ce qui montre simplement que les traducteurs ne savent pas quel aspect considérer.

Car, suite à ce que nous avons vu ci-dessus, si on considère l’aspect organisateur奇経, le terme ‘méridien extraordinaire’ semble plus approprié. Et si on considère le flux circulatoire八脈, le terme Vaisseau conviendra mieux.

On ne voit pas comment les appeler au plus juste, si ce n’est en disant ‘8  circulations linéaires hors système classique’, ce qui est impraticable.

Quel à peu près dans les traductions, n’est-ce pas ?

Il faudra évidemment nous résigner à utiliser le même langage que les autres et que l’usage a fini par consacrer, mais au moins avons-nous ouvert notre compréhension sur la riche réalité que la pauvreté des mots dissimule. Et cela va nous inspirer pour notre pratique.

Arrivés à ce point, faisons une pause et laissons décanter tout cela, car le prochain article abordera plusieurs visions japonaises des méridiens et réfléchira sur notre pratique. Une autre histoire...

Thursday 1 October 2020

Le point sur les points

En Shiatsu, on exerce des pressions sur des ‘points’ situés sur des ‘méridiens’. Et on précise encore bien souvent, ‘ce sont les mêmes points que l’acupuncture’. Pour savoir quels sont ces points, il n’est que de consulter des cartes de méridiens avec des points, que l’on trouve partout. 

Cette extrême banalité et récurrence de l’information incite à gratter un peu.  

Donc, faisons le point sur les points.

L’origine des points


D’abord, comment en est-on venu à travailler sur des points du corps ?

Le professeur Jacques-André Lavier (in ‘Histoire, doctrine et pratique de l’acupuncture chinoise’) fait tout un récit imagé de la façon dont les Chinois ont supposément découvert la technique des aiguilles sur des points précis du corps. Dans les temps chamaniques anciens, on croyait que les maladies étaient le fait de ‘Gui’ (esprits) hostiles qui envahissaient le corps. Une flèche plantée un jour par accident dans une jambe évacua une douleur persistante. On répéta l’expérience à plusieurs endroits du corps. On affina la flèche en poinçons puis en aiguilles. Le fait de planter des objets dans le corps tuait les Gui hostiles, particulièrement vulnérables là où le doigt s’enfonce. Puis on trouva le moxa (chauffer, voire brûler les points). Les points se multiplièrent. On les regroupa sur des lignes longitudinales (les méridiens).

Chronologiquement, les points précèdent bien les méridiens.


Le professeur Lavier pense que les premiers points définis étaient au nombre de 13. Ils sont encore connus aujourd’hui sous le nom de points des revenants (Ghost points, ghost étant ici le Gui), réputés redoutables à travailler si on n’a pas une grande expérience et utiles pour les maladies mentales et l’épilepsie. En japonais, le caractèredésigne l’esprit d’une personne décédée ou un Oni, càd un ogre, et aujourd’hui encore, les Japonais ne vont pas la nuit dans les endroits réputés abriter des Oni.


Le Dr Dao Kim Long, médecin vietnamien, fait remonter la technique à Neanderthal, lorsque les chasseurs, fatigués de courir après leurs proies, et souffrant de crampes, se massaient. En se frappant les muscles avec des cailloux, ils ont découvert les premiers points d’acupuncture.

Pour un Oriental, il n’est pas besoin de vérifier scientifiquement l’histoire des origines, mais bien d’en retirer un enseignement. L’important est bien ici l’ancienneté, le caractère empirique du développement de la technique et le long processus évolutif de la transmission. Quant à nous, qui sommes tout au bout de cette lignée, il nous incombe de continuer à chercher.

Définitions de praticiens

Maintenant que nous avons une idée de l’origine des points, voyons ce qu’en disent les praticiens qui écrivent des livres.

  • Elisabeth Rochat (in ‘101 notions-clés de la Médecine Chinoise’) : Situés sur les méridiens, les points sont les étapes de la constitution et de la reconstruction d’un être, les articulations et les relais du flux vital organisé.

  • Shizuto Masunaga (in ‘Shiatsu et Médecine orientale’) : le tsubo indique précisément la partie déterminée du corps sur laquelle le traitement devra être pratiqué, cette partie pouvant être soit un Keiketsu que l’on a repéré sur un méridien, soit un point de traitement fixé en fonction de la pathologie.

  • Katsusuke Serizawa (dans son livre ‘Tsubo’) : ‘les points appelés tsubo se trouvent le long des 14 systèmes de méridiens (12 de base et 2 systèmes de contrôle) qui s’étendent sur le corps entier et vers les organes internes. Bien qu’invisibles à l’œil, ces points, ou tsubo, sont les endroits où il est facile pour le flux d’énergie dans les systèmes de méridiens de devenir lent/mou/visqueux (‘sluggish’) et de stagner’.

  • Yuichi Kawada mentionne dans un périodique à l’usage de ses élèves : ‘Appelés trous du dragon par les Chinois ce sont les endroits où on peut appliquer une pression et affecter le flux énergétique’.

  • Ryokyu Endo (in ‘Tao Shiatsu, médecine vitale pour le XXIème siècle’) : les tsubo n’ont pas une position anatomique précise. Un tsubo est un creux physiologique qui change en fonction des circonstances.  Ce sont des points de thérapie apparaissant au-dessus des  méridiens, les portes à travers lesquelles on peut atteindre ceux-ci. Les tsubo sont des points creux, déficients en ki.

  • Bernard Bouheret, lors d’un séminaire : ‘Dans n’importe quelle partie du corps, il y a cet échange entre ciel et terre : ce sont les tsubo’.

  • Jacques Pialoux (in « Guide d’acupuncture et de moxibustion’) évoque ‘les points vitaux situés au creux des fossettes’.

  • Maud Ernoult (in ‘Manuel complet de médecine chinoise et de shiatsu  ‘) : les tsubo sont  ‘des points où se concentre l’énergie’.

On voit donc que chaque auteur considère un aspect différent lié à la présence de points et on pressent, à la lecture de ces définitions, tout un contexte, une philosophie, une spiritualité, une pratique, un ressenti propres à chacun.

Il va falloir aller voir l’étymologie.

Etymologie


Et là, surprise, voilà que s’ouvrent de nouvelles perspectives.

Car les idéogrammes utilisés (il y en a 4 en tout)  ne sont pas les mêmes en Chinois et en Japonais. Mais nous, nous traduisons tout cela par un seul mot : ‘point’.

En Chinois

Pour le Chinois, Elisabeth Rochat de la Vallée (in ‘Les 101 notions-clés de la médecine chinoise’) nous renvoie vers deux mots :

Xue 穴 , évoque une cavité où se tapissent les souffles (Qi) qui habitent le corps ou qui entrent depuis l’extérieur dans ces antres qui s’ouvrent pour eux. L’aiguille – ou toute autre technique – les sollicite pour stimuler les circulations quand les souffles de ces cavités se bloquent, pour attirer les souffles manquant ou pour évacuer les souffles pervertis.

Shu, 輸 évoque ‘un char qui acquiesce à la main qui le guide’, qui transporte ce qui lui est confié. L’idéogramme évoque un transfert. Les souffles ne résident pas seulement dans les cavités qui s’offrent à eux. Ils pénètrent de l’extérieur en profondeur et se rendent aux circulations et aux organes avec lesquels ils sont en affinité, et qu’ils vont stimuler ou léser, selon les cas.

Deux grandes catégories de points se retrouvent sous cet idéogramme, les 5 « Shu antiques » sur chaque méridien (wu shu 五 輸), et les Shu du dos (en Japonais, les Yu).

Elisabeth Rochat ajoute que ces deux caractères pour désigner des points, même très différents, encadrent toutefois parfaitement la nature et la fonction de ces lieux de pénétration et donc de régulation des souffles.

Parlant des Yu (Shu du dos), Maître Kawada nous donnait une autre explication. Au départ, le kanji symbolise un tronc d’érable creusé pour en faire un canoe. Donc, il s’agit d’enlever ce qui n’est pas utile, ce qui est mauvais. Nettoyer, enlever ce qui est mauvais pour le corps, c’est ce qui se passe quand on travaille les points Yu.

Les deux interprétations se rejoignent sur le fait que le travail sur les Yu / Shu permet de faire ressortir ce qui est entré.

Voilà pour les idéogrammes Chinois, mais il se fait qu’en Japonais on n’utilise pas les mêmes pour dire ‘point’, Yu étant une catégorie de points. Du moins, si nous faisons confiance à l’analyse de M. Masunaga, mais je crois qu’on peut.

En Japonais

Dans ‘Shiatsu et médecine Orientale’, quand il s’agit de points, il nous renvoie également vers deux mots, bien que, précise-t-il, ‘la réalité  que ces dénominations recouvrent, à savoir, le point précis sur lequel le traitement va devoir être effectué, est pour toutes la même’.

Le premier mot, Keiketsu  経穴, signifie les points d’observation des méridiens, nœuds d’énergie et sortes de fosses de Ki, certains étant concentrateurs et d’autres résonateurs d’énergie – le tout se traduit par point d’acupuncture.

Nous voyons donc qu’il s’agit bien du même xue qu’en Chinois ,sauf qu’en Japonais il se prononce KETSU et qu'on lui associe un autre idéogramme, KEI,  qui signifie, lui, selon les associations, la verticalité, la longitude, passer à travers, ou encore un … sutra bouddhiste (un long papier vertical). Il y a une idée de trame, là-dedans, puisque le radical  signifie la soie et aussi le système.

Retenons donc que pour les Japonais, quand on parle d’un point en général, on croit utile de préciser que c’est une cavité, mais sur une trame verticale.

C’est intéressant pour les discussions récurrentes sur le thème ‘ceci est-il un shiatsu des tsubo ou un shiatsu de méridiens ‘. Le mot général pour ‘point’, keiketsu, indique en fait que l’on tient toujours compte de ces deux dimensions.


L’autre mot Japonais pour désigner les points nous est, lui, bien connu, puisqu’il s’agit de tsubo, mot que nous rencontrons fréquemment dans la littérature. Mais justement, que signifie-t-il ? Le mot est écrit habituellement en kana つぼ, mais c’est la même idée que 壺, qui signifie un pot, une jarre, un vase, une dépression ou encore le but d’une intention.

M. Masunaga nous précise que ‘le simple fait, pour un Keiketsu de condition pathologique, de réagir au traitement, fait de lui un tsubo valable. Pour qu’il y ait Tsubo, il faut qu’il y ait, à l’endroit où se situe celui-ci, une altération pathologique nécessitant un traitement pour guérir’.

Un Tsubo est donc un Keiketsu qui ’appelle’ un traitement, un endroit où les mains se posent et amènent une modification de la qualité d’énergie.

D’où, deux constatations :

  1. L’idéogramme n’est, clairement, pas le même qu’en Chinois.
  2. C’est dû au fait qu’un Japonais ne considère pas la même chose qu’un Chinois. Il voit le tsubo comme l’endroit qui appelle le traitement, qui attire les mains. C'est purement pragmatique. 

M. Masunaga se fait lyrique, voire même sensuel, car il interprète l’idéogramme 壺 comme  ‘un vase à l’ouverture resserrée,  voire le bouton d’une fleur, qu’il faut caresser doucement pour qu’il s’ouvre’.

Ce qui confirme un fait essentiel : il faut comprendre que les Japonais s’inspirent volontiers de cultures étrangères, mais les refondent à leur manière. Le résultat final n’est donc jamais conforme à l’original.

Comme le formule Emile Steinilber-Oberlin (in ‘Le Bouddhisme Japonais’), le Japonais est fidèle en cela ‘à l’image de son génie multiforme, idéaliste et réaliste, poétique et pratique, constructeur’.
Qu’il y ait des influences chinoises dans le shiatsu (entre bien d’autres choses), donc, certes… mais au final, ce n’est plus la même optique.


Le tsubo, une approche  non-exclusive au shiatsu

Dans l’Anma, qui est bien plus ancré dans la tradition ancienne Japonaise que le shiatsu, on considère que lorsque les points sont stimulés, la tension musculaire se relâche, ce qui facilite la circulation du sang et de l’énergie (KI KETSU, 気血).

L’Anma fait d’ailleurs la distinction, selon Billy Ristuccia, spécialiste en la matière (School of Japanese Healing Arts), entre différentes sortes de tsubo :

  • Keiketsu Tsubo , les points sur les méridiens (nous connaissons les idéogrammes)
  • Kiketsu Tsubo, les points hors méridiens classiques, Ki signifiant ici excentrique, non-conventionnel.
  • Aishi Tsubo, les points naturels sans rapport avec les méridiens
L’acupuncture, l’Anma… sont d’autres pratiques utilisant les tsubo. Toutes les disciplines se retrouvent, je crois, sur le fait que la stimulation des tsubo à la surface de la peau déclenche les capacités naturelles du corps à l’auto-guérison.

Nous le disions au début de cet article, il y a  bien plus de points que ceux que nous recensons habituellement sur les méridiens. Si on se limite aux keiketsu, on en comptera, comme dit le Docteur Chamfrault dans son ‘Traité de Médecine Chinoise’, ‘aussi nombreux que les jours de l’année’, et il y a là, évidemment, une analogie.

Combien de points utilisons-nous en shiatsu ? Certainement pas 360, les grandes catégories sont les Gen, Bo, Yu, Geki et Raku, auxquels on ajoutera les Shu Antiques… Assez peu sont finalement utilisés par les praticiens de shiatsu.

Shiatsu de points ou de méridiens ?

Les diverses écoles de shiatsu mettent l’accent tantôt sur les points, tantôt sur les méridiens.

Il serait toutefois périlleux de tenter une classification. On remarque que les shiatsu privilégiant les points sont plutôt basés sur un cadre de référence occidental (favorisé depuis l’époque Meiji), comme le shiatsu Namikoshi. Les keiraku shiatsu (shiatsu de méridiens) sont plutôt basés sur la médecine traditionnelle orientale.  Je renvoie à l’article d’Antoine Di Novi sur les types de shiatsu existant actuellement au Japon et dans le monde pour prendre conscience de la diversité. Et à l’article suivant de ce blog sur les méridiens qui éclaircira les approches.

M. Serizawa (in ‘Tsubo, Vital points for Oriental therapy’) considère, lui, que ‘les nombreuses écoles et systèmes différents de thérapie shiatsu au Japon aujourd’hui rendent impossible d’en pointer une et de dire que c’est le vrai système’.

Si nous sortons deux minutes de notre mentalité d’Occidental, nous pouvons en conclure que classifier les shiatsu en shiatsu de points ou shiatsu de méridiens n’est pas fondamental, que tous mettent l’accent sur l’un ou l’autre aspect, mais sans oublier l’autre. Et rappelons-nous que le mot ‘keiketsu’ contient les deux aspects.

En fait, tout dépend effectivement de ce que l’on considère, et cela me fait penser un peu à la physique quantique 

  • Si on regarde l’onde, on ne voit pas la particule : keiraku shiatsu
  • Si on regarde la particule, on ne voit pas l’onde : tsubo shiatsu

Sachant donc que les deux existent, mais que c’est l’observateur qui influence ce qu’il voit. Et donc, le praticien, en fonction de ce qu’il considère, verra l’un ou l’autre, et même l’un et l’autre, dans un indifférencié. Car quand il n’y a pas d’observateur, il y a les deux… C’est pourquoi l’on dit : être présent et absent en même temps.

De nombreuses techniques de points


Même en shiatsu, il n’y a pas que les pressions. 

Pour M. Serizawa, toutes les écoles de shiatsu se sont développées à partir de l’ancien massage anma traditionnel,  en y ajoutant certaines techniques de main du judo (kappo et do in).  Une caractéristique du shiatsu étant la pression sur les tsubo du corps, mais donc pas seulement.

De fait, la pratique dépasse souvent la stricte étymologie de atsu ‘faire des pressions’. De sorte que, sans y référer explicitement, notre pratique utilise plusieurs techniques issues directement de l’Anma.

  • Keisatsu, frottement léger
  • Junetsu, pétrissage doux
  • Appaku, méthode de pression (et rappelons que M. Namikoshi avait, au départ, appelé sa technique ‘Appaku Ho’, soit méthode de pression, avant d’emprunter le terme Shiatsu à Tempeki Tamai).
  • Shinsen, vibration
  • Koda, tapotement
  • Annetsu, serrage et pétrissage

Ce faisant, il ne donne qu’une information partielle, ce que font tous ces auteurs japonais, car, selon Billy Ristuccia, il y a 9 techniques propres à l’Anma. Mais passons.





Pertinence des cartographies de points


Nous comprenons donc qu’en shiatsu, il ne suffit pas d’aligner des séries de points pour obtenir un résultat. Par conséquent, les nombreuses cartographies du corps humain ne suffisent pas non plus à se lancer en shiatsu. Le ressenti vient toujours confirmer, voire corriger le descriptif, et même en acupuncture,  Jacques-André Lavier (op. cit.) conseille de chercher le point avec le doigt avant de piquer.

Les cartes, avec leurs distances en pouces (cun) sont tout au plus des poteaux indicateurs indiquant que c’est par là.

Michel Odoul nous renforce dans cette approche (‘in Shiatsu fondamental – La philosophie’) : ‘il en est de même en Shiatsu, où le geste ne se limite pas à la zone sur laquelle on appuie, mais va bien au-delà. Chaque point travaillé cherche à toucher tout le corps… Le geste du praticien ne se limite pas au point d’acupuncture travaillé dans sa dimension symptomatique, mais cherche à atteindre ce qu’il représente sur le plan énergétique. Son attitude et sa présence sont majeures’. Le point est, somme toute, une porte d’entrée (et de sortie) énergétique, pas que pour ce qu’il est censé travailler, mais aussi pour le praticien. 

Voilà qui nous emmène hors sujet, et nous ramène au praticien, à sa présence.

Le livre sur les tsubo de M. Serizawa


Si on veut aborder la médecine orientale par les tsubo et non par les méridiens, le livre de M. Serizawa 'Tsubo, Vital points for Oriental Therapy' est un incontournable.


Katsusuke Serizawa 芹澤勝助 (1915 – 1998) n’est pas n’importe qui. Praticien de techniques traditionnelles (Acupuncture, moxa, Anma…) il était professeur d’université, chercheur, auteur de nombreux ouvrages et titulaire de distinctions prestigieuses de l’Etat Japonais.

Son ouvrage sur les tsubo a au moins été traduit en Anglais.


La motivation est clairement médicale, car, pour M. Serizawa, il n’y a rien à chercher de mystique dans la Médecine Orientale. La thérapie orientale peut, il est vrai, guérir des maux pour lesquels la médecine occidentale manque d’explications, mais rien de miraculeux là-dedans. La science médicale orientale est un système rationnel  organisé autour de la théorie des méridiens et des tsubo, nourrie par 3000 ans d’expérience pratique.  La médecine occidentale a besoin de nommer le problème pour définir le traitement et est donc démunie face à de ‘nouvelles’ maladies pour lesquelles il ne semble pas y avoir de causes physiologiques. 

La thérapie des tsubo est à même de résoudre ces problèmes à cause de son approche générale'. Les désordres des organes se reflètent à la surface de la peau (c’est l’emplacement des tsubo) et la pression, ou d’autres formes de traitement, soulage les symptômes pathologiques et remet tout l’organisme en bon fonctionnement.

Pour M. Serizawa, la complémentarité de la médecine orientale avec l’occidentale réside en sa capacité à résoudre les problèmes chroniques et ceux causés par des maladies psychologiques (et rappelons-nous qu’un des terrains de prédilection de M. Masunaga était effectivement la psychologie).

Pour les cas compliqués qui débarquent au cabinet, désespérés par des années de souffrance, il m’arrive, il est vrai, de dire ceci : ‘si la médecine, avec tous ses appareils, ne trouve pas ce que vous avez, je ne trouverai pas non plus, mais nous allons tenter quelque chose’. Il serait en effet présomptueux de se placer au-dessus de la capacité d’analyse de la science occidentale. Par contre, quand elle ne trouve rien, ou ne peut rien, notre ‘approche générale’ peut aider quand même.

La base du traitement pour M. Serizawa est donc le tsubo, qui peut se traiter par des méthodes aussi diverses que le massage, le shiatsu, l’acupuncture, le moxa… Mieux encore, M. Serizawa n’hésite pas à utiliser des accessoires très divers, comme les patchs chauds, les bains de paraffine, voire un … sèche-cheveux pour les épaules tendues, les douleurs articulaires… Ou même… la bouteille de bière (accessoire omniprésent au Japon) pour masser la plante des pieds, ou appuyer sur certains points.

Un vade mecum du traitement par les tsubo


La majeure partie du livre est un vade-mecum exhaustif des maladies et du traitement par tsubo, dans des domaines très divers.

  • Les maladies qui ne sont pas à proprement parler des maladies ( !) : impuissance, crampes, gueule de bois, acouphènes…
  • Les maladies respiratoires, circulatoires, du système digestif, du système métabolique (diabète), du système nerveux et du cerveau, des muscles et articulations, du système urinaire, de la peau
  • Les maladies juvéniles, les problèmes féminins
  • La fatigue et la promotion de la santé
  • Et, cerise sur le gâteau, les traitements cosmétiques : élimination des rides du visage, brillance des cheveux, développer la poitrine (féminine), avoir une belle peau…

Un homme plein de ressources, visiblement…

Pour chaque maladie, un diagnostic est proposé (étiologie et symptomatologie), ainsi qu’un certain nombre de points et de techniques de traitement, sous forme de kata. Cette façon de travailler est très précieuse, car complète. En général, les ouvrages mentionnent une liste de points, mais pas la façon de les travailler.

L’autre ouvrage à avoir qui développe une approche semblable, même s’il ne se focalise pas que sur les points, est le Vade Mecum de Shiatsu Therapeutique de Bernard Bouheret. Avec ces deux-là, le praticien est à même de mener une réflexion dans ses traitements, en partant des maladies.

Vous voyez que réfléchir simplement sur le mot ‘point’ nous a fait faire un beau voyage et ouvert beaucoup de portes.

Le prochain article traitera évidemment de l’autre aspect, qui est les méridiens… Obligé…