Wednesday 31 October 2018

Combien de fois venir en shiatsu ?


Nous poursuivons notre exploration de différents aspects du shiatsu avec une nouvelle vidéo, consacrée à la question souvent entendue « combien de fois dois-je venir ? ».

A l’issue d’une séance, il arrive en effet que nos clients soit reprennent rendez-vous, soit décident de nous rappeler plus tard, soit nous demandent notre avis sous la forme « combien de fois dois-je venir ? ».



Essayons, comme d’habitude, d’aller au-delà des quelques réflexions générales émises dans la vidéo.

Nous avons discuté dans l’article précédent le fait que rien ne doive et que l’obligation de quoi que ce soit n’est pas pertinente dès que l’on fait du shiatsu.

Il semble toutefois naturel de poser la question de la fréquence des séances. Je me souviens de ma toute première séance de shiatsu chez un thérapeute trèèèèèèès connu à Bruxelles. Au moment de le quitter, et comme il ne disait rien, j’osai lui demander quand je devais revenir, pour m’entendre congédier sèchement sur un « vous n’avez rien ! ». Du coup, cela a pris quelques années avant d’y retourner (mais je n’ai pas été perdu pour le shiatsu).

Ce qui se cache derrière la question « combien de fois dois-je venir ? », c’est la question de la régularité, qui n’est pas propre au shiatsu. 

La régularité, mot-clé de la longévité…


… comme l’exprime Jean Pélissier. L’Univers est régularité, succession de cycles, et notre organisme n’est fait que de cycles (circulation, digestion, sommeil…). Une certaine régularité dans la planification et l’enchaînement de ces cycles est souhaitable, sans tomber pour autant dans l’insupportable habitude. Car, nous dit Jean Pélissier, trop de régularité tue la régularité. Et il importe de garder la notion de « jouissance ». 

Comme discuté dans les précédents articles, nous aligner sur les grands cycles de la Terre et du Ciel nous offre effectivement les meilleures garanties d’une vie longue et harmonieuse.

C’est pareil pour toute discipline que nous pratiquons (physique, intellectuelle, spirituelle…). Nous savons bien que seule la régularité offre les meilleures chances de résultat. Nous le savons bien, mais nous ne le mettons pas en pratique.

C’est clair qu’il vaut mieux méditer 5 minutes chaque jour qu’une heure d’un seul coup une fois de temps en temps, s’entraîner un peu tous les jours à la course ou au vélo plutôt que de se lancer sans préparation dans un marathon dominical, pratiquer tous les jours quelques étirements plutôt qu’à l’occasion…

Les effets d’une pratique régulière


Ainsi du shiatsu : il vaut mieux en recevoir régulièrement plutôt que d’y penser quand c’est trop tard. La régularité est même en fait inhérente à notre art, en tout premier lieu axé sur la  prévention des problèmes.

Ainsi, les receveurs et receveuses qui viennent régulièrement me confirment-ils /elles tous (toutes) que, depuis que cette régularité est installée :

  1. Ils se sentent mieux (la réponse à la banale question « comment ça va » ? est, spontanément, « je me sens bien »)
  2. Certains maux récurrents dans leur corps ont disparu ou se sont allégés
  3. Ils ont une meilleure énergie et un état d’esprit plutôt optimiste. Ce qui confirme bien l’intérêt de faire du shiatsu régulièrement et sans attendre de souffrir de quelque chose.

A quel rythme pratiquer le shiatsu ?


Il n’y a donc certainement pas de « vous devez », pas de règle concernant la fréquence à observer, au demeurant différente pour chacun. Mais le bon sens et l’expérience permettent de dire que :
  • faire du shiatsu une ou deux-trois fois par an ne permet pas d’installer une régularité. Une séance offre des bienfaits à court terme (on se sent détendu, par exemple) et à plus long terme (travail sur l’énergie vitale ou sur un problème donné). Une séance de temps en temps n’offre pas ces bénéfices à long terme, qui se consolident en quelque sorte de séance en séance.
  • Faire du shiatsu une fois par mois environ (même si ce n’est pas une norme absolue) permet par contre déjà de mettre en place les bénéfices à court terme et à long terme. Cela peut être un peu plus ou moins souvent. Il n’est par contre pas nécessaire de venir toutes les semaines.
  • Il peut toutefois être opportun de venir plusieurs fois sur un court intervalle, et ensuite d’espacer les séances. C’est le cas pour les problèmes aigus, survenus récemment, mais aussi pour les problèmes anciens, bien incrustés, mais qui ont besoin d’une forte stimulation pour pouvoir être évacués.



Personnellement, je reçois un shiatsu environ deux fois par mois et m’en trouve fort bien. Pour un praticien, il est impératif de recevoir régulièrement pour pouvoir donner à son tour. Et de ressentir dans notre corps ce que nous faisons, de nous connecter à notre propre ressenti, de nous confier à des mains expertes… J’ai ce bonheur de connaître les bonnes personnes qui me ramènent en mon centre énergétique. Hommage soit ici rendu à ces belles collègues ! Ressenti et délectation, disions-nous, dans un article précédent.

Donc, lorsqu’on me pose la question « combien de fois dois-je venir ? » ou « quand nous revoyons-nous ?  », je ne suis pas trop directif, mais j’explique généralement ces différentes possibilités. Il faut bien dire quelque chose, car « rappelez-moi quand vous voulez » est trop aléatoire. Tant que cela reste au niveau du mental…

Sortir du mental, sinon on n'en sort pas



Car notre mental est ainsi fait que, si on lui confie l’organisation de notre bien-être, il n’en résultera pas grand-chose, voire rien du tout. Le besoin doit, en effet, venir du corps, et alors, c’est gagné.

Constatons simplement comment nous repoussons sans cesse les échéances qui concernent notre santé, voire simplement notre détente ou notre bien-être. Que ce soit un simple rendez-vous chez le dentiste, un check up, une intervention médicale… Ou que ce soit un moment pour soi qui va faire du bien à notre corps (une activité physique, un massage, un shiatsu…), notre mental trouve mille et une raisons de remettre à plus tard, arguant que nous n’avons pas le temps ou que nous nous en occuperons demain, c’est-à-dire jamais.

Il s’agit peut-être, à la base, d’un reliquat de mauvaise éducation qui nous a enseigné que l’effort était une plus grande valeur que le plaisir, qu’il fallait d’abord travailler dur avant de profiter de la vie et qu’il était égoïste de penser à soi. Idioties… Toujours est-il que c’est ancré quelque part en nous.

Le mental n’écoute donc généralement pas les signaux du corps (sauf si on arrive à lui faire très peur) et, à force de remettre à plus tard, il peut arriver que ce soit trop tard, auquel cas le corps manifeste sa désapprobation par une bonne maladie, un épuisement, un burn out, un accident… imposant ainsi l’arrêt des activités.

Il va donc falloir ruser et passer outre aux mille prétextes du mental pour ne pas nous faire du bien, notamment en installant cette fameuse régularité parce que le corps la demande.

Les quatre étapes de tout apprentissage


Il y a tout d’abord, pour les férus d’explications, la prise de conscience de la façon dont nous fonctionnons.

Ainsi y a-t-il quatre étapes à tout processus d’apprentissage :

  1. Incompétence inconsciente : je ne sais pas que je ne sais pas. Je ne suis absolument pas conscient des besoins de mon corps, et donc je ne fais rien pour.
  2. Incompétence consciente : je sais que je ne sais pas. Je suis conscient des besoins de mon corps, mais je sais que je ne fais rien pour.
  3. Compétence consciente : je sais que je sais. Je suis conscient des besoins de mon corps, et j’y travaille consciemment tous les jours. Pour cela, je suis obligé d’y penser, ou je m’y oblige.
  4. Compétence inconsciente : je ne sais plus que je sais. Je n’ai plus besoin de m’appliquer pour prendre soin de moi, cela vient naturellement.

Le quatrième stade est en fait le stade du corps, lorsqu’il reprend sa place, exprime ses besoins et que nous sommes à l’écoute. La régularité est le fait du corps, la pratique régulière nous amène à ce stade.

Donc, plus on fait du shiatsu, plus on en ressent les bienfaits, plus il y a de chances que le corps reprenne sa place. Dès ce moment, la régularité de la pratique s’impose et la prise de rendez-vous devient entièrement autonome. Ce que certains clients expriment en disant « je sentais qu’il était temps de revenir ».


Ainsi par exemple de la pratique du Do In (étirements propres au shiatsu), qui se fait, idéalement, au quotidien. Au début, il a fallu m’obliger à les faire. Ensuite, la pratique est venue naturellement. Maintenant, quand il m’arrive de ne pas pouvoir les faire, la journée n’est pas pareille, je sens dans mon corps qu’il manque quelque chose, il réclame son dû.


Pratiquer et observer : la régularité pour les praticiens aussi 


Et si nous devions trouver un conseil qui soit tout aussi valable pour le praticien que pour les receveurs, ce serait celui entendu récemment d’un ami moine bouddhiste, lors d’une intéressante discussion sur son expérience de la méditation.

Il n’y a que deux choses à faire : pratiquer, et observer.

Cela vaut pour tous les arts, pour notre santé, pour notre développement personnel…

  • Pratiquer, pratiquer et encore pratiquer (donner et recevoir) : c’est l’art.
     
  • Observer ce qui se passe dans son corps pendant et après la pratique, devenir conscient, rendre sa place au corps : c’est le ressenti. 
Comme le dit Eric Baret (« De l’abandon »), il y a encore plus vrai que la conceptualisation, c’est le ressenti. « Revenir à ce ressenti, humblement, simplement, et vous rendre compte que c’est ce qu’il y a de plus haut ».  Peu importe donc ce que disent les livres, les belles théories profondes, « restez tranquille, car il n’y a rien à comprendre ».

Dès que ces deux choses simples cessent d’être compliquées, la vie change. « Bingo », comme disait Maître Kawada.


Et une dernière pour la route… Une cliente a complété la liste la semaine passée par un « je dois » inédit : « dois-je dormir ? ». Inattendu, celui-là, quand même...

Friday 5 October 2018

SHIKANTATSU : de l'art de ne rien devoir en shiatsu


La vidéo de ce jour est consacrée aux questions que l’on me pose souvent en cabinet, comme : que dois-je faire ? Dois-je me déshabiller ? Comment dois-je me mettre ? Dois-je me taire ? J'ai tendance à donner ce genre de réponses. Et comme pour chaque vidéo, c'est l'occasion de réfléchir un peu plus loin.



L’abus du mot devoir

Le point commun à toutes ces questions, c’est le verbe devoir. On nous a inculqué la notion de « devoir » avec le temps. Nous avons des droits et des devoirs, soit toutes les choses qu’on doit ou ne doit pas faire, qu’il faut ou faudrait. Et il y a les bons conseils qui commencent par « tu devrais ». A force d’être bombardés de ce genre de commentaires, nous développons une culpabilité, qui vient remplacer la pure spontanéité heureuse de l’enfant que nous fûmes.

Ainsi, la cliente de ce matin, en burn out et à qui ses bonnes amies disent que cela suffit, 4 mois de pause, et qu’elle devrait recommencer à travailler. La réponse est lapidaire, et évidente, à l’issue d’une longue séance de shiatsu : « on s’en fout des bons conseils».  Merci quand même et parlons d’autre chose. Le ressenti dira quand recommencer et si il faut recommencer le même travail. Le travail du shiatsu amène ce rééquilibrage et ce centrage de la personne qui permet de ne pas donner prise à ce-ceux-celles qui ne nous font pas de bien, même par inadvertance.

« Tu dois », c’est une pression extérieure, quelque chose au fond contre notre gré et qu’une entité souvent abstraite (Dieu, la société, la famille, une loi, un employeur, une croyance, notre éducation, notre « surmoi »…) nous impose par la voix d’autres ou par une voix intérieure, au point que nous ne nous sentons pas bien, si nous n’y cédons pas. « Je dois », c’est le mental qui parle.

Et donc, même quand on vient pour se sentir bien, il semble normal que quelqu’un (le thérapeute, en l’occurrence) décrète que faire ou ne pas faire.

Lorsque le corps reprend sa place, son droit, et c’est ce qui arrive quand on fait du shiatsu, il n’y a plus de devoir qui tienne. Cela se fait « tout seul ». La conception de la vie et la vie changent. Disons qu’on expérimente la constatation que font tant de sagesses, philosophies, religions… Il ne faut rien faire, que s’ouvrir et tout advient « naturellement ». A condition que l’énergie circule librement dans le corps, au sens le plus large.

Comment les Japonais disent « devoir »

Puisque le shiatsu est japonais, allons faire un tour chez les Japonais pour voir comment ils disent « je dois ». Attention, mini-cours de Japonais.

Pour exprimer l’idée « devoir », en langage formel, le japonais utilise l’infinitif à la forme négative, avec le suffixe « nakereba », le « ba » référant à un conditionnel, le tout étant suivi du verbe « naru » à la forme négative, soit « naranai ».
  • Donc, travailler se dit « hataraku ».
  • A la forme négative : « hatarakanai » – ne pas travailler
  • Avec l’idée de conditionnel  « hatarakanakereba » - si ne pas travailler
  • Suivi de la forme négative du verbe « naru » (devenir, advenir), soit naranai.
  • Nous obtenons « Hatarakanakereba naranai », qui, traduit littéralement, signifie « ça n’ira pas si ne pas travailler ». Ce que nous traduisons par « devoir travailler ».


Donc, si je ne travaille pas, il ne va rien advenir, rien se passer (double négation, et constatation de cause à effet). Ce n’est quand même pas ce que nous avons en tête quand nous disons « je dois ». Ici, il n’y a pas de pression.

Formulé à la japonaise, je suis d’accord de dire qu’on doit faire du shiatsu. Tu dois faire du shiatsu exprime : « ça n’ira pas si tu ne fais pas de shiatsu » shiatsu wo shinakereba narimasen »
Ce qui est bien le cas. Si on ne fait pas de shiatsu, ça n’ira pas (aussi bien) dans la vie.


Et comment ils disent "ne pas devoir"


Les plus rigoureux d’entre vous demanderont peut-être si pour dire « je ne dois pas », on utilise alors une triple négation. Que non pas !

« Je ne dois pas » se dit « c’est OK si ne pas », soit une seule négation. Infinitif négatif suivi de la forme « nakute mo ii ». Je ne dois pas travailler – hatarakanakute mo ii desu, soit « c’est OK de ne pas travailler ».

On en déduit que les Japonais sont décidément plus cools qu’on ne veut bien le dire, puisque quand on doit, on considère qu’il ne se passera rien si on ne fait rien et que quand on ne doit pas, si on ne fait rien, ce sera OK quand même. Paradoxal avec la stricte organisation sociétale et le nombre de règles à connaître ou respecter ? Ce n’est pas tant qu’ils doivent, mais plutôt une question de respect, de politesse, d’étiquette et de tenir sa place. So desu. C’est ainsi.  

Donc, en venant en shiatsu, on ne doit certainement rien faire, juste être là et laisser monter le ressenti. C’est un moment d’être dans notre âge du faire, une respiration bienvenue, une ouverture qui se crée, un ressenti qui s’installe.

Les questions subsidiaires

La question principale étant résolue, les questions subsidiaires tombent d’elles-mêmes, évidemment.

Doit-on se déshabiller ? La pratique veut que non. Les illustrations les plus anciennes de pratiques de massage au Japon montrent une pratique habillée. Un client me faisait remarquer que ce serait quand même mieux sans vêtements, mais que c’est impossible à faire vu le danger de connotations et les possibles dérapages. Exactement. Le vêtement léger et souple ne fait en tout cas pas obstacle à l’efficacité du shiatsu. Et il vaut mieux rester habillé car il arrive que votre température descende pendant la séance (Yin, réception), tandis que le donneur a chaud (Yang, action).

Comment doit-on se mettre ? Il vaut mieux se mettre bien, en situation de confort, pour un effet optimal. Donc pas dans une position inconfortable ou douloureuse pour le dos, la nuque, un membre… Je remercie toujours les personnes soucieuses de me faciliter la vie, et donc prêtes à se mettre dans n’importe quelle position, mais ce n'est pas nécessaire. Si quelqu’un ne peut pas se mettre sur le ventre, je m’adapterai pour traiter son dos. Et l’idée comme quoi il faudrait souffrir pour aller mieux ne tient évidemment pas la route.

Quant à se taire ou parler… peu importe. Il y a des personnes qui parlent vraiment beaucoup. C’est que quelque chose s’exprime, se libère à ce moment, ou que c’est leur nature. Il arrive qu’au bout d’un moment, elles ne disent plus rien. On peut rire, pleurer, soupirer, crier, avoir des mouvements désordonnés ou rester immobile… Tout ce qui se manifeste et s’exprime dans l’instant est bon. Tout ce que vous dites m’intéresse, car il y a des mots-déclencheurs ou indicateurs de quelque chose. Et si vous ne dites rien, c’est bien aussi.

En un mot, c’est votre séance, votre moment pour vous. Vous êtes allongé sur le sol, et combien de fois par semaine vous allongez-vous sur le sol, habituellement ? Rien que cela… en fait un moment spécial. En séance, les lois du monde extérieur n’ont pas cours. 

Pas de pression… sauf celle de mes mains sur votre corps. Ou encore : le shiatsu est la pression des doigts, et pas la pression des « doit ».

Et le praticien, doit-il faire quelque chose ? Shikantatsu !

Comme c’est toujours mieux de regarder les deux côtés, y aurait-il quelque chose que nous, praticiens, devons ou ne devons pas faire ? 

C’est pareil. Il y a évidemment l’élémentaire respect et l’étiquette à observer en cabinet. Et puis, être dans le ressenti, laisser aller les mains, dans l’intention, dans la meilleure posture, avec le cœur ouvert et sincère, car « les mains font ce que le cœur commande ». Tout cela ne doit pas : c'est comme ça.

J’aurais envie de paraphraser le Zen Soto, où une pratique s’appelle « shikantaza », ce qui signifie simplement être assis. Nous, c’est « shikantatsu », simplement faire des pressions.

Et si vous n’avez pas encore lu tout ce que cela peut impliquer, je vous renvoie aux articles précédents :