Sunday, 16 November 2025

On le voit bien avec le Coeur (1)

 Une étymologie du Coeur - Le méridien


J’ai paraphrasé le poème ‘Clair de Lune’ de Paul Verlaine en mode Shiatsu et cela devient ‘Clair de Yin’ (voici la première strophe).

Ton corps est un paysage choisi
Où vont surgissant points et méridiens
Jouant du Ki et vibrant et quasi
Invisibles sous le lourd quotidien


Paraphrase pour le jeu, mais aussi pour souligner la profonde poésie de notre art, et surtout pour
 éclairer l’analogie certaine entre le corps humain et un paysage terrestre.

Microcosme = macrocosme. Cette compréhension remonte à la plus haute Antiquité orientale.

Pour comprendre un paysage, un lieu, et les gens qui y vivent, le recours à l’étymologie peut être très éclairant.

Les villes, villages, lieux-dits, régions, pays portent tous des noms, parfois très anciens, et connaître l’origine du nom via la toponymie peut apporter des renseignements intéressants sur les caractéristiques du lieu. Ainsi, Bruxelles vient de Bruocsella, mot qui contient la racine ‘broek’ qui signifie marécage. Et puis on s’étonne qu’il n’est pas possible d’y creuser un tunnel de métro…

De même, nos noms de famille indiquent souvent l’origine de la famille. Le mien signifie par exemple, en flamand, ‘Tonnelier’. Un ancêtre lointain a probablement exercé cette profession.





Les noms que nous donnons ne sont pas innocents.  Il en va de même des noms des méridiens et des points, tous signifiants et, surtout, éclairants pour notre compréhension et notre pratique. Le retour au sens étymologique profond des kanji (caractères sino-japonais) permet cela.

Démonstration.


Le nom complet des méridiens

Nous avons pour habitude de nommer les méridiens d’après l’organe ou l’entraille auxquels ils correspondent. Méridien du Cœur, du Rein, de la Rate…. C’est en fait incomplet, car cela ne rend qu’une toute petite partie du message. A y regarder de plus près, les noms d’origine sont bien plus complexes.

Je prends le Méridien du Cœur comme exemple, mais il en va de même pour tous les méridiens.

La dénomination d’origine est :手の少陰心経, ce qui se dit en chinois Shou Shaoyin xin jing et en japonais Te no Shôin Shinkei. Peu importe la prononciation, puisque cela s’écrit sensiblement pareil dans les deux langues.

Analyse

la main

déterminatif (de)

petit, peu

yin

kokoro, le cœur

kei, provenant de keiraku, la trame, la ligne verticale, le sutra c’est-à-dire ici le méridien.

 

Traduction de 手の少陰心経 : le méridien du cœur du peu de Yin de la main.

Il y a donc :

  • Un parcours : le méridien
  • Lié à l’organe Cœur
  • Le tout inclus dans quelque chose qui s’appelle peu de yin
  • Et ayant son aboutissement à la main.

Ce peu de yin, c’est ce qu’on appelle généralement ‘la couche’ en utilisant les noms chinois, donc, ici le ShaoYin, en japonais le Shôin. Je préfère le terme ‘grand méridien’. ‘Couche’ réfère plutôt à la théorie des atteintes par le froid et les facteurs climatiques externes. Or, ce n’est pas la seule façon d’utiliser les grands méridiens.

Ce que cela implique pour la pratique du Shiatsu

Il y a  donc 5 caractères qui définissent où je me trouve quand je travaille ‘le Cœur’.

En être conscient me rappelle une foule de choses concernant les bases de ma pratique :
 

  • Je me situe sur un ‘méridien’, une ligne de Ki, verticale, bien déterminée, passant par la main dans le sens du centre vers le Ciel

  • Je suis dans le domaine de ‘kokoro’, le Cœur, avec tout ce que cela implique (article suivant)

  • Le grand méridien précède le méridien classique : c’est le méridien du peu de Yin. A nouveau, cela dépend des modèles, mais quand on doit travailler le ShaoYin, c’est profond, intense, intime et possiblement grave.

  • Il est toujours question de Yin (comme ici) et de Yang, c’est le fondement de toute la pensée orientale, à ne jamais perdre de vue.

  • S’il y a un Yin de la main, il y a donc un Yin du pied ?


Deux branches à un méridien


En effet :


足の少陰腎  - Zu Shaoyin Shen Jing  - Ashi no shôin Jinkei

Soit : 

de pied

少陰 peu de Yin

méridien du Rein

Donc : le méridien du Rein du peu de Yin du pied.

Dans cette dénomination, je lis des choses semblables à celle du Cœur, à savoir le méridien, l’organe, le grand méridien, sauf que le trajet part du pied, donc de la Terre vers le Centre.

Je comprends surtout que :


  • Le grand méridien a la prééminence sur les deux branches qu’il englobe, réunies en un grand trajet Ciel /Terre

  • Il n’y a donc pas d’opposition au sein d’un même grand méridien, ici Feu/Eau, mais complémentarité, deux aspects du même ‘Peu de yin’

  • Quand je travaille une branche, je ne perds pas l’autre de vue

  • Il y a plusieurs endroits du corps où les deux branches se rapprochent, se rejoignent, physiquement ou énergétiquement

  • Le travail ne se limite pas seulement aux parcours et aux points situés sur les branches, mais peut s’étendre aux zones du corps, ce que Chris Mc Alister appelle, à raison, les ‘points nodaux’.

Une autre façon de travailler

La compréhension étymologique des noms de méridiens m’ouvre une toute autre façon de travailler, au demeurant très efficace, comme en témoignent les réactions des receveurs.

Cette approche m’invite à avoir le regard de l’aigle, du plus global au plus local en interrelation : Yin/Yang à grand méridien à branches à points. Les symptômes catégorisés dans les tableaux pathologiques prennent, eux, le problème par en bas et non par en haut… question de choix et de vision. C'est cohérent avec ce que présente le Dr Nguyen Van Nghi dans sa classification des moyens de traitement.

La recherche étymologique nous invite par ailleurs à nous méfier des traductions couramment rencontrées, à commencer par ‘méridien’.  Il n'y a jamais un seul sens à un kanji et les choix sont nécessairement orientés. Il faudrait trouver un mot qui intègre plusieurs sens... ce qui n'est pas possible, sauf à utiliser une périphrase. Traduttore, traditore…

Méridiens ou Vaisseaux ?



Méridien se dit Keiraku  経絡 en japonais et Jing en chinois. Les kanji (différents) pointent vers une circulation souterraine normée par une équerre, càd une trame, un fil de soie tendu longitudinalement, ce que Soulié de Morant a traduit par ‘méridien’ en français, mais cela ne rend pas l’idée.

Keiraku s’applique aux 12 classiques, mais pas aux 8 dits ‘Merveilleux’, puisque là, nous trouvons un autre kanji pour les caractériser. 
 

Ki Kei Hachi Myaku 奇経八脈 signifie en effet huit circulations hors de la trame, le mot myaku se traduisant par circulation, vaisseau sanguin… On ne dit pas ‘kei’ ici.

Avec les keiraku 経絡 (les classiques), on voit d’abord une grille de lecture d’une circulation souterraine.

Avec les myaku (les 8 autres), on voit d’abord une circulation et on précise bien que c’est hors du plan des 12.

Ce ne sont donc, ni des Méridiens, ni des Merveilleux, mais, au mieux, des Vaisseaux Curieux et l’étymologie nous dit qu’ils ne se travaillent ni ne se comprennent de la même façon que les autres.


Alors, vous mordez à l’étymologie ?


Prochain article : exploration du mot ‘kokoro’, traduit par cœur.

Article suivant : étymologie des points du Cœur, pour voir si cela nous apprend aussi quelque chose.


Je transmets ces enseignements, et bien d'autres, avec la pratique correspondante, à l'école Ôdô Shiatsu en Belgique.