Wednesday, 19 November 2025

On le voit bien avec le Coeur (2)

 Une étymologie pratique du Coeur - L'organe



L’article précédent nous invitait à comprendre ce que l’on entend par ‘méridien du Cœur’. Dans celui-ci, nous allons préciser ce qu’en Orient, on entend par ‘Cœur’, car c'est cela que nous travaillons en Shiatsu.

Le Coeur occidental

Comme le dit Pierre Feuga dans son livre ‘Tantrisme’, « dans la conception populaire occidentale, le cœur est essentiellement le siège des sensations et des émotions, ou bien le siège des sentiments et des passions, devenant même parfois synonyme de bonté et de charité ». L’intelligence du cœur n’est qu’une faculté qui permet d’y voir plus clair et n’a rien de transcendant. On associe aussi l’amour avec le cœur et on nous dit de pratiquer avec amour.

Chez les Hindous (et, ajoute-t-il, nombre de spirituels occidentaux et orientaux), le cœur est avant tout « le siège de l’intuition intellectuelle, celle qui perçoit les essences, dévoile les symboles, pénètre le sens de la vie directement sans passer par l’analyse. Le chakra tantrique qui lui correspond est Anâhata, carrefour entre les énergies terrestres et célestes ».


Emotion, certes, mais pas émotivité
Ni sentiments ni passions
Ni bonté, ni charité, ni compassion

Quoi, alors ?

Le Cœur oriental

Le mot japonais pour le dire est ‘Kokoro’, écrit avec un kanji tout simple qui se retrouve dans
beaucoup de mots composés. Certains analystes y voient la forme d’un vase rituel qui contient une offrande. 心 apparaît dans de nombreux mots composés et c’est intéressant de voir que « penser » (omou) s’écrit 思, superposition d’un champ de riz, espace géographique délimité et ordonné (symbole du carré) au-dessus du kokoro. Penser, c’est donc du kokoro mis en forme rationnellement.


思, pensée
志 intention, volonté
念 souhait, désir
芯 pistil

Donc, si on décompose les kanji, on a :

  • Penser : Je ressens et je vais l’expliquer
  • Volonté : je ressens et je vais l’orienter vers quelque chose
  • Souhait : je ressens maintenant
  • Pistil : le ressenti de la fleur…

Sauf qu’au final on a oublié que tout est d'abord ressenti.

C’est pourquoi M. Tsuda nous dit, dans son livre ‘La Voie des dieux’ que si « kokoro » est étymologiquement identique à l’organe central de l’appareil circulatoire, « pourtant, l’acception en est toute différente. Le cœur en français est plutôt le sentiment, tandis que le kokoro en japonais n’est ni tout à fait le sentiment, ni l’esprit, ni la pensée. C’est quelque chose que nous ressentons à l’intérieur de nous-mêmes, il s’approche plutôt du mind en anglais. Si on traduit par mental ou psychique, ce sera encore différent ».

Et il ajoute que la recherche d’un kokoro qui reste imperturbable devant un danger imminent, qui reste calme en toute circonstance, est le but principal imposé à ceux qui essaient d’atteindre la perfection dans le métier des armes.

La moins mauvaise traduction ne saurait tenir en un seul mot : « état d’esprit » ou « ressenti profond » me semblent appropriés.



Impression confirmée dans le préambule du livre de Lafcadio Hearn, intitulé précisément « Kokoro » : « les textes composant ce volume traitent de la vie intérieure plus que de la vie extérieure du Japon, et pour cette raison ils ont été regroupés sous le titre kokoro (cœur). Ce mot signifie également esprit (mind), au sens émotionnel, esprit (spirit), courage, résolution/détermination, sentiment, affection et sens intérieur, tout comme nous dirions en anglais « le cœur des choses ».

Et que trouve-t-on donc dans le livre ‘Kokoro’ ? De petites histoires concernant la vie quotidienne, des états d’esprit, des personnages incarnant cet état d’esprit.

On peut dire que les Japonais baignent dans ce ‘kokoro’ et qu’ils sont, en ce sens, un peuple de ressenti profond. En témoigne le livre ‘Les dernières chamanes du Japon’ de Muriel Jolivet qui montre toutes les connexions des Japonais avec le monde dit surnaturel.


Avec cette compréhension, on peut lire différemment certaines choses comme :

Le slogan de Namikoshi



M. Namikoshi et son célèbre slogan ‘Shiatsu no kokoro wa haha gokoro’… utilise deux fois le mot kokoro et je renvoie à l’analyse que j’en ai faite dans mon livre.

Il nous parle bien de ressenti profond de la source de la Vie et non, je crois, d’amour maternel.


Le Sutra du Coeur


Le dit Sutra ‘du Cœur’ (Hannya Shingyô) n’a rien à voir non plus avec le cœur au sens occidental.

Une traduction plus fidèle serait en effet ‘ Ressenti profond du Sutra de la Grande Sagesse qui permet d’aller au-delà’. Notez que Sutra s’écrit de la même manière que ‘méridien’. Hasard ? Sûrement pas. Analogie, certainement.

Le Cœur et donc l’Amour ?


Le mot ‘amour’ est un de ces concepts occidentaux qui ne passent pas en Japonais, malgré tous leurs efforts.

Le kanji Ai
est un fourre-tout : amour, affection, désir, favori, agapê, attachement, soin….

Je t’aime se dit anata ga suki, ce mot suki 
étant composé de ‘femme – enfant’ et signifiant,  bon, plaisant, préféré, favori, à son goût, voire... salace.

Littéralement cela donne ‘toi à mon goût’. Pas de kokoro là-dedans.

Le cœur de la pratique, la pratique du Coeur

Pratiquer avec le cœur me semble donc ouvrir un espace au sein duquel peut exister ce ressenti profond (kokoro), calme, lumineux, ce fait d’être et d’être bien qui infuse et diffuse.

Enfin, parmi les différentes fonctions énergétiques du Cœur, il ne faut pas oublier que celui-ci régit les activités mentales  et les émotions. Les différents organes colorent les émotions (colère, tristesse, peur...), mais seul le Cœur ressent.


Quelle est l’émotion fondamentale ? 
Celle de la Vie qui coule en nous, le frémissement, le pétillement des cellules.

En poursuivant notre analyse de l’étymologie des points du Cœur, cette fois, nous allons vérifier si c’est bien cela qui est perceptible tout au long du méridien.

Prochain article. 


Je transmets ces enseignements, et bien d'autres, avec la pratique correspondante, à l'école Ôdô Shiatsu en Belgique.









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