Wednesday, 17 November 2021

La façon japonaise : retrouver notre légèreté par le Shiatsu

 Le shiatsu est un art Japonais. En Europe, ce sont essentiellement des Européens qui le pratiquent. Alors, authentique notre shiatsu ? Comme au Japon, ou pas du tout ? Quels critères utiliser ?


J’étais ravi de lire une interview récente d’une collègue japonaise établie à Reims,
Mme Hiroko Mizuguchi, qui évoque la légèreté comme une caractéristique japonaise. Voilà qui résonne bien, et nous parle de ‘kokoro’ : état d’esprit, ressenti profond.


Il y a comme un complexe face aux Japonais


Dans un article sur la légèreté, je ne vais pas m’appesantir, mais généralement, on ne place pas le débat sur ce plan-là, quand on réfléchit aux possibles
différences ou ressemblances  entre le Japon et l’Occident.

En Occident, nous avons hérité du shiatsu, arrivé ici comme tant d’autres pratiques japonaises, dans la seconde moitié du 20ème siècle. Les premiers enseignants étaient tous des Japonais et puis, de génération en génération, les élèves occidentaux ont pris le relais.  Et donc on est en droit de se demander si on s’est éloigné des origines. On sent même comme un petit complexe par rapport au Japon. Mais comme il n’y a pas grand monde qui aille vérifier ou, tout simplement, qui soit capable de communiquer  en Japonais, tout cela reste flou.

On va ainsi
tenter de se comparer au nombre d’heures (nettement supérieur au Japon), au style de formation, à la reconnaissance officielle du shiatsu là-bas (certaines écoles, en fait). On va dire que les Japonais aiment les fortes pressions à la limite de l’insupportable et que nous, on ne peut pas travailler comme cela (alors que ce n’est qu’un style, loin d’être la norme)…

Disons que tout cela ne concerne que les formes extérieures du shiatsu et que l’on navigue ici entre
quelques écueils : fausses perceptions, projections (‘l’Orient rêvé des Occidentaux’), légendes, méconnaissance voire réécriture de l’histoire, traductions erronées, inaccessibilité des sources, éloignement du pays-mère… Connaissances partielles et positions partiales, donc. A nous d’extraire de leur gangue les pépites authentiques.

Pour couper court à ce genre de discussions, je rejoins volontiers M. Masunaga qui désamorce le débat dans ‘Shiatsu et médecine orientale’ (p 111) en disant que, s’il faut évidemment des principes de pratique, on ne peut pas perdre sa personnalité en figeant la forme de sa thérapeutique. Et de dire qu’en Shiatsu, c’est
‘un thérapeute, une école’. Faisons, dès lors, comme nous le sentons.

Légèreté et gaieté chez les praticiens Japonais


Comment, dès lors, nous rapprocher du Japon dans notre pratique ? Si donc on place la personnalité et les données culturelles à la source de la pratique du shiatsu, on peut effectivement se demander
ce qui caractériserait un(e) praticien(ne) japonais(e).  C’est là qu’il faut lire (sur le site de Shiatsu France) cette belle interview de MmeHiroko Mizuguchi, praticienne installée à Reims.

A la question ‘Voyez-vous des différences culturelles dans la pratique du shiatsu entre les deux pays ?’, elle répond prudemment qu’elle n’a pas encore reçu beaucoup de séances en France pour émettre une opinion, mais nous parle du Japon :

J’ai l’impression que les shiatsushis au Japon ont l'air plus détendus et plus légers. Les shiatsushis que j’ai rencontrés au Japon sont très à l’écoute et sont attentifs aux résultats de la séance. Ils ont aussi de la légèreté et de la gaieté. A chaque séance, j’étais plus joyeuse après la séance avant d’arriver au cabinet grâce à leur technique mais aussi à leur bonne humeur’.

A voir les discussions Shiatsu sur les forums, on pourrait effectivement penser que le shiatsu n'est pas très drôle en Occident. Mais de mes études avec Maître Kawada, je retiens absolument un bon sens de l’humour. Rares étaient les cours où il ne riait pas, il adorait qu’on lui balance des vannes en tous genres et appréciait le fait qu’on aime ‘rigoler’. Il aimait aussi raconter de bonnes histoires, un caractère que l’on retrouve chez d’autres comme MM. Tsuda et Ohashi, allant même parfois jusqu’à l’absurde. Regardez Tokujiro Namikoshi et son sonore ‘HAHAHA’ qui clôturait son célèbre slogan ‘shiatsu no kokoro wa’.  


 On observe cela partout au Japon. Dès qu’on sort des villes, les gens sont finalement curieux, assez familiers et on voit beaucoup de personnes âgées discuter et prendre du plaisir ensemble de façon parfois démonstrative. Oublions l’image d’un peuple coincé dans une impassibilité sociétale.


The Japanese Way


Me revient à l’esprit la scène de Zatoichi, où Takeshi Kitano joue le rôle de ‘Anma san’ (‘Monsieur Masseur’). On le voit donner un massage avec les pouces et les coudes à la dame qui l’héberge, tout en discutant le plus naturellement du monde des bandes de vauriens qui rançonnent les gens. Tout cela débouchera sur un carnage épouvantable avec des jaillissements d’hémoglobine. Ce naturel, à l’écoute des problèmes des gens, est précisément ce à quoi fait allusion Mme Mizuguchi. Aussi décalé que puisse être Kitano, il est profondément Japonais et sait ce que fait un praticien.

Quant à nous, nous ne deviendrons jamais Japonais (un autre mythe serait de le croire), mais nous pratiquons un art Japonais. Il y a dans l’esprit japonais tant de pratiques et de personnes inspirantes et nourrissantes. The Japanese Way. 日本の道 ! Une manière d’être qui nous rapproche, au-delà des possibles différences de pratique et de culture.

La manière d’être en cabinet

Voyons donc si nous sommes capables d’être en adéquation avec la manière d’être japonaise qu’évoque Mme Mizuguchi.

Plus détendus 

Nous sommes tous stressés à des degrés divers, perméables plus ou moins au stress ambiant, mais voilà, il faudrait que pas, ou peu au cabinet. Pratiquer l’ici et maintenant qu’on nous remet à toutes les sauces. Détendu et disponible, donc. Comme dit Mme Yamamoto, être 'supérieur' à nos receveurs / receveuses, par quoi elle veut dire en meilleure santé générale.

Je donne souvent l’image du trop plein. Quand c’est plein, il n’y a pas de place. Que ce soit pour accueillir de nouvelles choses, pour changer d’orientation, pour faire un enfant. Et pour donner un shiatsu, donc.

Plus légers 

Là, c’est l’énergie du Cœur Empereur qui va rayonner dès que nous sommes plus ou moins alignés et harmonisés. Bien centrés dans notre hara, le cœur ouvert et le mental apaisé. Le triangle de M. Tsuda enfin sur sa base. Ce n’est pas un état à rechercher, mais à laisser advenir.

Très à l’écoute

C’est pareil. On écoute avec les oreilles et si la tête est pleine, rien ne rentre. On écoute avec le cœur et si il chavire, on n’entend rien. On écoute avec les mains, et si on n’est pas dans les mains, on passe à côté de ce qui se passe, là. Créer de l'espace.

Attentifs aux résultats de la séance 

Rester dans la position de l’observateur qui voit le receveur, soi-même et l’interaction. S’adapter à tout moment. Seule la présence totale entraîne l’absence (relative) du moi.

Et surtout : légèreté et gaieté

Légèreté et gaieté. S’il y a la joie, il y a la gaieté qui est son expression. Aussi grave ou dramatique que puisse être la séance, même si on a pleuré, après la gaieté resurgit.

Inochi no izumi waku : la fontaine bouillonnante de la vie apparaît soudainement, c’est une partie du slogan de M. Namikoshi. Lequel considérait
‘bien rire’ comme un des 5 critères de bonne santé.

Lors du dernier weekend de formation, on me faisait remarquer qu’on ne rit plus, et quand on rit c’est toujours de quelqu’un, pour stigmatiser ce que l’on trouve ridicule. On montre du doigt et on se moque. Pauvre sens de l’humour… Où sont les grands, les Pierre Dac, Raymond Devos et autres qui racontaient des histoires savoureuses et absurdes sans blesser personne ?

C’est cet humour joyeux qu’il nous incombe de réinventer en cabinet. Quand ça me prend, je chante une petite chanson. Cela fait toujours sourire. Etre praticien, c’est être bon public, rire des histoires qu’on nous raconte et bon acteur, en raconter des drôles.

La leggerezza ! J’aime le mot en italien, car il sonne comme une caresse, un effleurement. Pourquoi la légèreté de l’être serait-elle insoutenable ? Rate en déséquilibre !

Contagiosité

Quand Mme Mizuguchi dit qu’elle se sent plus joyeuse après la séance, c’est la photo d’avant et d’après. Regardez le visage de vos receveurs, ils ne sont normalement pas le même avant et après. Alors, vous avez donné une bonne séance.

Mais elle se sent aussi joyeuse à cause de la technique. Nous pouvons être puissants, mais pas pesants. Cela nous ramène au rythme musical d’une séance et finalement au Ki Do Ma : le bon geste – avec la bonne intensité – dans le juste intervalle de temps.

Alors, pouvons-nous faire tout cela et nous rapprocher de ce qui se fait au Japon ? Assurément ! C'est l'essence même de notre art : qui nous sommes détermine ce que nous faisons.


Entre omoi et karui, moins lourds et plus légers

La langue japonaise nous donne enfin à nouveau des éclairs de compréhension.

Le caractère japonais pour lourd est , ce qui se dit omoi, avec l’idée de choses empilées qui font que c’est lourd.  Pour être moins lourd, il s’agit d’enlever des couches.

Léger, c’est karui ce qui contient l’idée de légèreté, offrir peu de résistance, se sentir léger et donc se déplacer facilement (la racine du kanji est un véhicule ), pas important et le cœur léger.

Si nous avons le cœur léger, nous aurons le corps léger, fondamental pour notre pratique !



ALORS… ?


Le cabinet comme oasis au milieu de la lourdeur ambiante
Un temps différent dans la présence
Un endroit où déposer les fardeaux, les poids et les peines
Un échange léger et joyeux car là est l’essence de la Vie
Le pétillement des cellules et des yeux avant de repartir

ça vous dit ?

Alignés avec nos collègues japonais, dans l’authenticité. Praticien et receveur unis dans la même légèreté de la Vie. Bienvenue sur les tatamis !


Joie et clarté des Corps Glorieux, comme disait Messiaen. Mais ici sur Terre.

APPENDICE


Outre la manière d’être, il y a également des façons de faire qui nous sont totalement accessibles pour nous rapprocher du Japon, sans se prétendre spécialiste du Japon.

Si vous avez envie de creuser, j’y ai déjà consacré deux articles :

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