Sunday 8 December 2019

Origines et racines du Shiatsu (2)


II. Cantabile – Les racines - Remettre le Japon dans la pratique


La première partie de cet article démontait quelque peu les visions romantiques d’un art du shiatsu ancré dans le Japon ancien, et questionnait les amalgames, imprécisions, erreurs historiques qui ont été commises et répétées de génération en génération.

On peut toutefois concevoir que les pionniers du shiatsu étaient à la fois attirés par les techniques nouvelles et l’envie de sauver les meubles de la Tradition ancienne. Aucune Révolution, surtout qui ne propose rien, comme celle de Meiji, n’arrive à changer l’inconscient d’un peuple. 

Les Japonais, insulaires, ont une forte conscience de leur appartenance à quelque chose de spécifique. De nos jours, la télé japonaise parcourt le Japon en quête de Japonais, producteurs, artisans… qui ont gardé un savoir du passé ou innové… Si cela n’est pas révélateur de recherche de sens…

J’ai tenté de montrer qu’à côté de la modernisation à outrance, des résurgences de l’esprit ancien se sont manifestées, tandis que d’autres s’attachaient silencieusement à perpétuer dans leur coin des pratiques authentiques.

Notre héritage


Nous avons hérité pour notre part de … quelque chose avec un peu tout cela. Après la deuxième guerre mondiale, des Sensei Japonais ont été envoyés tous azimuts enseigner en Occident les arts Japonais, anciens et nouveaux. Peut-être l’américanisation accélérée du Japon a-t-elle incité des Maîtres de certaines traditions à s’exporter en Occident pour transmettre et préserver quelque chose. 

Et donc, les Japonais ont déposé entre nos mains un héritage fragmentaire.

Le shiatsu s’inscrit dans cette mouvance. Et nous avons, selon notre âge et notre lieu de résidence, étudié, soit avec un Japonais (qui ne dit et ne montre que ce qu’il veut bien), soit avec quelqu’un qui se situe quelque part dans cette filiation, a adapté, interprété, choisi des parties d’enseignement et laissé d’autres… 

Comme pour les recherches historiques, nous avons hérité de quelque chose au sujet duquel nous ne pouvons pas trop affirmer.

On voit bien la complexité de la filiation, entre le rêve du Japon ancien et authentique et tous les glissements qui ont pu s’opérer.

Est-ce à dire que nous sommes finalement incapables de définir exactement ce que nous faisons ?

Oui.

Est-ce à dire que nous ne savons pas ce que nous faisons ?

Non.

La pratique… C’est là qu’on nous attend.



Car cela va être à nous, Occidentaux, fascinés par la culture traditionnelle japonaise et aidés finalement par la distance avec le Japon, de petit à petit remettre le temple au sommet du village.
Non pas en portant le kimono et en mangeant des sushi (soit dit en passant, encore une invention moderne), mais en cherchant, en travaillant avec humilité et sincérité, dans le ressenti et l’ouverture du cœur (kokoro).

C’est bien plus une question d’attitudes à cultiver et qui nous rapprochent, instantanément, de l’esprit du Japon traditionnel.

Quelques pistes :


  • Renouer avec la chaîne de transmission du savoir expérimental, càd remettre à l’honneur l’apprentissage par la pratique, la rencontre de praticiens qui montrent ce dont ils ont hérité ou ce qu’ils ont trouvé en travaillant, s’en inspirer, chercher et transmettre après maturation notre propre expérience ;
  • Renouer avec un temps centré sur la Vie (les 5 Mouvements notamment), vivre et travailler en accord avec les cycles de la Terre, être attentifs aux messages subtils de l’environnement et s’y accorder ;
  • Sentir l’omniprésence de la Vie en nous, autour de nous, en toutes choses, travailler en interrelation, laisser monter le ‘frémissement’ (comme disent les Tantriques), laisser advenir, jaillir le courant de la Vie ;
  • Travailler dans l’instant présent, s’axer sur le processus et non escompter un résultat objectivé, planifié ou prévisible, être pleinement dans le souffle et dans la pression ;
  • Développer notre sensibilité, avoir la conscience de l’intangible à partir du tangible, des flux d’énergie, devenir de plus en plus sensation ;
  • Laisser émerger les phénomènes spontanés, sans toutefois les rechercher ou s’y attacher, donner de l’espace, de l’amplitude, accueillir l’imprévisible, savoir improviser ;
  •  Développer notre expérience intérieure et travailler à notre ‘purification’ (au sens Shinto, enlever les kegare, impuretés) pour laisser émerger notre nature originelle ;
  • Développer une attitude intérieure d’invitation et d’accueil, une ‘passivité’, en résonance ;
  • Ressentir l’énergie vitale et se laisser porter, développer une conscience claire et non-troublée ;
  • (Ré)-inventer nos katas en séance, càd les formes par lesquelles le courant de la Vie pourra s’écouler et l’inattendu pourra surgir.

    Le travail en seiza est déjà en soi un kata de la réceptivité, avec des corollaires : diminuer la force, effacer la présence, travailler sans tension, traverser la douleur, diminuer la part de la volonté, s’installer dans la stabilité.

    Lorsque je pratiquais le Kyudo, art martial où les katas sont très importants, entre l’entrée dans le kata et la sortie, j’étais pris dans une espèce de mouvement hors du temps et qui se suffisait à lui-même. On se sentait porté et capable de faire des choses difficiles (s’harmoniser à l’autre, tenir longtemps des positions douloureuses, sentir le mouvement dans l’immobilité…)

    I
    nventer des formes pour pratiquer, sans rigidifier pour autant, permet d’entrer facilement dans la dimension de la pratique. Entrer en chaque séance comme dans un Kata, dès que nous entrons dans le champ de notre receveur et que celui-ci nous accueille. 
    Le travail en Kata implique de travailler avec la bonne intensité, au bon moment et avec la bonne distance.

    Dans le même ordre d’idée, l’espace où nous travaillons peut être ritualisé, de même que la préparation à la pratique ;
  • Garder la conscience de travailler entre Ciel et Terre, les genoux dans la Terre et la Tête au Ciel, connaître notre place, à l’image de l’idéogramme du Roi (cfr texte précédent A quoi ressemble une séance de shiatsu), développer le centre et ne jamais le perdre ;

La forme


Dans son excellent article cité plus haut, M. Noguchi parle des artisans japonais qui ne prétendent jamais avoir réalisé quelque chose (le pronom ‘je’ n’est normalement employé que pour éviter la confusion), mais disent que le travail s’accomplit, spontanément, de manière improvisée, grâce à une force qui n’est ni de la volonté ni de la tension.

Et donc, pour nous qui pratiquons un Art japonais, non pas je fais du shiatsu, mais le shiatsu s’accomplit, comme quelque chose de naturel. Grâce, bien entendu, au savoir-faire de l'artisan.



Ces quelques aperçus de ce que nous pouvons travailler ne sont pas présentés de façon très ordonnée, ils représentent quelques exemples de ce qu’on peut pratiquer en séance et de la façon d’apprendre. Ces attitudes nous replongent dans le Japon ancien, sans pour autant être un spécialiste du Japon.

La formule


Et après la forme, seulement, vient la formule (qui est une petite forme, diminutif latin), càd qu’on peut évidemment partir à la recherche d’éléments de savoir, culturels, théoriques, historiques, voire même savants. Dans l’ordre : la forme, puis la formule. ‘ Grâce aux pratiques du corps, accepter le savant et le spéculatif’.

Et donc, oui, allons voir le Japon, allons ressentir là-bas, étudions les arts martiaux, lisons les documents anciens, pratiquons la méditation, une spiritualité japonaise, exerçons-nous à la calligraphie de kanji, étudions différents styles de shiatsu, cuisinons Japonais, que sais-je ?... et voyons comment tout cela peut enrichir notre pratique. 

Chacun, en fonction de ses affinités, aimera nourrir sa pratique d’éléments extérieurs, créer des ponts, faire des analogies (pensée orientale oblige).  

Soyons curieux, dépassons les lieux communs pour développer les champs de l’expertise. Et partageons nos trouvailles.

Sans oublier que nos premiers enseignants sont nos receveurs, dans la pratique, au quotidien.

Pratiquer, pratiquer et pratiquer


Nous n’arriverons pas à faire progresser l’intérêt pour le shiatsu en inventant une vérité  ou revendiquant une légitimité. Le travail sur nous-mêmes est la première chose à faire quotidiennement et la Voie est bien celle du corps.  A partir de là, nous pourrons redécouvrir une authenticité proche de l’esprit japonais, et remettre ainsi le temple au sommet du village.

Entre Ciel et Terre. Pour que l’on puisse entendre le chant du shiatsu sur les flux stochastiques de notre monde troublé.

Je citerai pour terminer la conclusion d’un collègue suisse, Peter Itin, après qu’il ait tenté de démêler les origines du shiatsu : ‘les noms ne m’intéressent plus, mais bien l’histoire (history) du Shiatsu, une histoire (story) entre technologie et temple, dans le champ relationnel science/modernité et spiritualité/tradition’.





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