La vidéo de ce jour est consacrée aux questions que l’on me
pose souvent en cabinet, comme : que dois-je faire ? Dois-je me
déshabiller ? Comment dois-je me mettre ? Dois-je me taire ? J'ai tendance à donner ce genre de réponses. Et comme pour chaque vidéo, c'est l'occasion de réfléchir un peu plus loin.
L’abus du mot devoir
Le point commun à toutes ces questions, c’est le verbe
devoir. On nous a inculqué la notion de « devoir » avec le temps.
Nous avons des droits et des devoirs, soit toutes les choses qu’on doit ou ne
doit pas faire, qu’il faut ou faudrait. Et il y a les bons conseils qui
commencent par « tu devrais ». A force d’être bombardés de ce genre
de commentaires, nous développons une culpabilité, qui vient remplacer la pure
spontanéité heureuse de l’enfant que nous fûmes.
Ainsi, la cliente de ce matin, en burn out et à qui ses bonnes amies disent que cela suffit, 4 mois de pause, et qu’elle devrait recommencer à travailler. La réponse est lapidaire, et évidente, à l’issue d’une longue séance de shiatsu : « on s’en fout des bons conseils». Merci quand même et parlons d’autre chose. Le ressenti dira quand recommencer et si il faut recommencer le même travail. Le travail du shiatsu amène ce rééquilibrage et ce centrage de la personne qui permet de ne pas donner prise à ce-ceux-celles qui ne nous font pas de bien, même par inadvertance.
« Tu dois », c’est une pression extérieure,
quelque chose au fond contre notre gré et qu’une entité souvent abstraite (Dieu,
la société, la famille, une loi, un employeur, une croyance, notre éducation,
notre « surmoi »…) nous impose par la voix d’autres ou par une voix
intérieure, au point que nous ne nous sentons pas bien, si nous n’y cédons pas.
« Je dois », c’est le mental qui parle.
Et donc, même quand on vient pour se sentir bien, il semble
normal que quelqu’un (le thérapeute, en l’occurrence) décrète que faire ou ne
pas faire.
Lorsque le corps reprend sa place, son droit, et c’est ce
qui arrive quand on fait du shiatsu, il n’y a plus de devoir qui tienne. Cela se
fait « tout seul ». La conception de la vie et la vie changent. Disons
qu’on expérimente la constatation que font tant de sagesses, philosophies,
religions… Il ne faut rien faire, que s’ouvrir et tout advient « naturellement ».
A condition que l’énergie circule librement dans le corps, au sens le plus
large.
Comment les Japonais disent « devoir »
Puisque le shiatsu est japonais, allons faire un tour chez
les Japonais pour voir comment ils disent « je dois ». Attention,
mini-cours de Japonais.
Pour exprimer l’idée « devoir », en langage formel, le japonais
utilise l’infinitif à la forme négative, avec le suffixe « nakereba »,
le « ba » référant à un conditionnel, le tout étant suivi du verbe
« naru » à la forme négative, soit « naranai ».
- Donc, travailler se dit « hataraku ».
- A la forme négative : « hatarakanai » – ne pas travailler
- Avec l’idée de conditionnel « hatarakanakereba » - si ne pas travailler
- Suivi de la forme négative du verbe « naru » (devenir, advenir), soit naranai.
- Nous obtenons « Hatarakanakereba naranai », qui, traduit littéralement, signifie « ça n’ira pas si ne pas travailler ». Ce que nous traduisons par « devoir travailler ».
Donc, si je ne travaille pas, il ne va rien advenir, rien se
passer (double négation, et constatation de cause à effet). Ce n’est quand même
pas ce que nous avons en tête quand nous disons « je dois ». Ici, il
n’y a pas de pression.
Formulé à la japonaise, je suis d’accord de dire qu’on doit
faire du shiatsu. Tu dois faire du shiatsu exprime : « ça n’ira pas si tu
ne fais pas de shiatsu » shiatsu wo shinakereba narimasen »
Ce qui est bien le cas. Si on ne fait pas de shiatsu, ça n’ira pas (aussi bien) dans la vie.
Ce qui est bien le cas. Si on ne fait pas de shiatsu, ça n’ira pas (aussi bien) dans la vie.
Et comment ils disent "ne pas devoir"
Les plus rigoureux d’entre vous demanderont peut-être si pour dire « je ne
dois pas », on utilise alors une triple négation. Que non pas !
« Je ne dois pas » se dit « c’est OK si ne pas », soit une seule négation. Infinitif négatif suivi de la forme « nakute mo ii ». Je ne dois pas travailler – hatarakanakute mo ii desu, soit « c’est OK de ne pas travailler ».
On en déduit que les Japonais sont décidément plus cools
qu’on ne veut bien le dire, puisque quand on doit, on considère qu’il ne se
passera rien si on ne fait rien et que quand on ne doit pas, si on ne fait
rien, ce sera OK quand même. Paradoxal avec la stricte organisation sociétale
et le nombre de règles à connaître ou respecter ? Ce n’est pas tant qu’ils
doivent, mais plutôt une question de respect, de politesse, d’étiquette et de
tenir sa place. So desu. C’est ainsi.
Donc, en venant en shiatsu, on ne doit certainement rien
faire, juste être là et laisser monter le ressenti. C’est un moment d’être dans
notre âge du faire, une respiration bienvenue, une ouverture qui se crée, un
ressenti qui s’installe.
Les questions subsidiaires
La question principale étant résolue, les questions subsidiaires tombent d’elles-mêmes,
évidemment.
Doit-on se déshabiller ? La pratique veut que non. Les illustrations les plus anciennes de pratiques de massage au Japon montrent une pratique habillée. Un client me faisait remarquer que ce serait quand même mieux sans vêtements, mais que c’est impossible à faire vu le danger de connotations et les possibles dérapages. Exactement. Le vêtement léger et souple ne fait en tout cas pas obstacle à l’efficacité du shiatsu. Et il vaut mieux rester habillé car il arrive que votre température descende pendant la séance (Yin, réception), tandis que le donneur a chaud (Yang, action).
Comment doit-on se mettre ? Il vaut mieux se mettre
bien, en situation de confort, pour un effet optimal. Donc pas dans une
position inconfortable ou douloureuse pour le dos, la nuque, un membre… Je
remercie toujours les personnes soucieuses de me faciliter la vie, et donc
prêtes à se mettre dans n’importe quelle position, mais ce n'est pas nécessaire. Si quelqu’un ne peut pas se
mettre sur le ventre, je m’adapterai pour traiter son dos. Et l’idée comme quoi
il faudrait souffrir pour aller mieux ne tient évidemment pas la route.
Quant à se taire ou parler… peu importe. Il y a des
personnes qui parlent vraiment beaucoup. C’est que quelque chose s’exprime, se
libère à ce moment, ou que c’est leur nature. Il arrive qu’au bout d’un moment,
elles ne disent plus rien. On peut rire, pleurer, soupirer, crier, avoir des
mouvements désordonnés ou rester immobile… Tout ce qui se manifeste et
s’exprime dans l’instant est bon. Tout ce que vous dites m’intéresse, car il y
a des mots-déclencheurs ou indicateurs de quelque chose. Et si vous ne dites
rien, c’est bien aussi.
En un mot, c’est votre séance, votre moment pour vous. Vous
êtes allongé sur le sol, et combien de fois par semaine vous allongez-vous sur
le sol, habituellement ? Rien que cela… en fait un moment spécial. En séance,
les lois du monde extérieur n’ont pas cours.
Pas de pression… sauf celle de mes
mains sur votre corps. Ou encore : le shiatsu est la pression des doigts,
et pas la pression des « doit ».
Et le praticien, doit-il faire quelque chose ? Shikantatsu !
Comme c’est toujours mieux de regarder les deux côtés, y
aurait-il quelque chose que nous, praticiens, devons ou ne devons pas
faire ?
C’est pareil. Il y a évidemment l’élémentaire respect et l’étiquette
à observer en cabinet. Et puis, être dans le ressenti, laisser aller les mains,
dans l’intention, dans la meilleure posture, avec le cœur ouvert et sincère,
car « les mains font ce que le cœur commande ». Tout cela ne doit pas : c'est comme ça.
J’aurais envie de paraphraser le Zen Soto, où une pratique s’appelle « shikantaza », ce qui signifie simplement être assis. Nous, c’est « shikantatsu », simplement faire des pressions.
Et si vous n’avez pas encore lu tout ce que cela peut
impliquer, je vous renvoie aux articles précédents :
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