Wednesday, 23 July 2025

CORPSESPRIT - Une étude en trois tableaux (2)

TABLEAU 2 - SHINJIN /CORPSESPRIT, deux  des 4 façons de l’écrire  

身心 et 心身


Dans l’article précédent, nous avons tenté de cerner la réalité de CORPSESPRIT et la meilleure façon de la formuler et de la laisser s’exprimer.

La difficulté, avec les mots japonais, est de trouver une traduction correcte à ce que l’on veut exprimer dans toute sa portée et ses nuances.

Souvent, une clef se trouve dans l’étymologie des mots originaux employés par les Anciens qui ont écrit les textes fondateurs. Il faut absolument se méfier des traductions, souvent partielles, parfois partiales et aller voir l’origine des mots.

4 manières d’écrire SHINJIN

Ainsi, je trouve en Japonais, quatre façons d’écrire CORPSESPRIT. Cela va nous éclairer, et, peut-être, ‘pointer poétiquement vers l’indéfinissable’.

Le dictionnaire indique pour le mot SHINJIN  :
身心, 心身, 身神, 神身

Soit à chaque fois deux kanji homophones, qui se prononcent de la même manière (Shin/Jin) et peuvent donc se juxtaposer indifféremment. Sauf que l’idée sous-jacente change, évidemment, nous allons le voir plus loin.

Le dictionnaire précise en outre pour tous les quatre, ‘outdated kana usage’, càd que ce sont des archaïsmes,  les termes sont vieillis et peu utilisés de nos jours. Signe de l’occidentalisation du Japon ? Ou de l’évolution de la langue ?


Ce que signifient, isolément,  et




JIN/MI
signifie le corps, soi-même, la place ou la position de quelqu’un, la partie principale d’un objet (la viande sur les os, le bois sous l’écorce, la lame au bout de la poignée, le contenant sous le couvercle). Quelqu’un. Il s’agit donc en fait de l’essence matérialisée sous forme solide, visible, tangible. On pourrait aussi dire le moule, la forme, dans laquelle se matérialise l’enveloppe corporelle.

En effet, quand on veut désigner plus spécifiquement le corps humain, on ajoute un second kanji pour former le mot karada
身体. Le second kanji signifie le corps, le torse, la constitution physique, la santé, mais aussi le cadavre. Les deux kanji ensemble signifient exactement la même chose et se prononcent identiquement, on précise donc en juxtaposant les deux qu’il s’agit de l’enveloppe physique de l’essence matérialisée, de la forme .
Le corps humain est donc finalement la substance de soi.

Ce kanji représente pour moi le monde matériel perceptible par le toucher.

SHIN /KOKORO 
 : je l’ai analysé dans mon livre ‘Le Shiatsu un art japonais’, puisque Namikoshi l’utilise dans son slogan. Si on parle de l’organe, le mot signifie ‘cœur’. Mais le sens va bien au-delà. Dans la Tradition chinoise, le coeur est le siège de la conscience. La moins mauvaise traduction ne saurait tenir en un seul mot : « état d’esprit » ou « ressenti profond » me semblent appropriés.


Impression confirmée dans le préambule du livre de Lafcadio Hearn, intitulé précisément « Kokoro » : « 
les textes composant ce volume traitent de la vie intérieure plus que de la vie extérieure du Japon, et pour cette raison ils ont été regroupés sous le titre kokoro (cœur). Ce mot signifie également esprit (mind), au sens émotionnel, esprit (spirit), courage, résolution/détermination, sentiment, affection et sens intérieur, tout comme nous dirions en anglais « le cœur des choses ».

On voit donc que SHIN/KOKORO englobe à la fois le mental, l’émotionnel et le spirituel, il s’agit bien de cette part immatérielle de nous que l’on peut ressentir, mais pas appréhender par nos 5 sens habituels.

Ce kanji représente pour moi le monde immatériel du ressenti.


Traduire Shinjin par corpsesprit est donc à la fois correct et ambigu. Il faudrait trouver un mot pour dire l’energie immatérielle sous sa forme essentielle. Incarnation est sans doute le mot le plus proche quant au sens profond, puisqu’il signifie que quelque chose est descendu dans la ‘chair’.  Si on fait abstraction de l’origine ecclésiastique du mot, le Larousse donne comme définition ‘Personne ou chose qui apparaît comme la représentation, la manifestation concrète d’une réalité abstraite’.

Quand nous voulons désigner qui nous sommes réellement, corpsesprit, nous pourrions donc parler de notre incarnation. Le meilleur mot est anglais : ‘embodiment’, mais il n’a pas de véritable équivalent, non-connoté, en français. Corporéification ?
 

On en parle dans le Bouddhisme Zen


S'agissant de Shinjin écrit comme ceci 
身心, on trouve le mot dans le Zen, chez Dôgen, patriarche du Zen Soto, dans son ouvrage ‘Shôbôgenzô’.

Shinjin gakudō (身心學道) "Étude de la Voie avec le corps et l'esprit" est un fascicule du Shōbōgenzō ("Le Trésor de l'Œil de la Vraie Loi"), un sermon prononcé en 1242. 


L’étude de la Voie consiste ici en une plongée en soi-même et le corps n’est pas un obstacle, mais un moyen de s’unir à notre Nature originelle.

Le problème des Bouddhistes, Chinois puis Japonais, a été de traduire des concepts indiens dans leur représentation du monde, à la base taoïste et shintoïste. Fort heureusement, pour la facilité, le Japon a connu le Bouddhisme à travers la Chine, où il s'était frotté au Taoïsme, et pas directement à travers l’Inde.

Mais les significations indiennes du mot  SHIN /KOKORO 
 se retrouvent quand même sous-jacentes, c’est ce qu’on appelle la polysémie. Il faut donc garder en arrière-plan de notre compréhension des concepts indiens très différents, pour lesquels les traducteurs européens proposent des traductions très diverses :

·        Citta : conscience, esprit, intelligence, pensée

·        Karita : cœur

·        Irida : compréhension, conscience universelle

·        Hrdaya : organe vital , cœur, cœur de chair

·        Vrddha : réflexion profonde

·        Vijnâna : siège de la pensée


Mais si Dôgen, apparemment, fait référence à tous ces mots indiens, il se borne à mentionner divers états de conscience qu’il faut tous étudier.

Taisen Deshimaru, qui avait l’habitude des Occidentaux, résumait de cette façon :
Quand on étudie l'esprit, cela inclut l'étude du corps et de l'esprit ; quand on étudie le corps, cela inclut l'étude de l'esprit et du corps : faire zazen chaque jour, c'est la façon la plus élevée d'étudier la Voie, de réaliser l'esprit d'éveil. Quand on fait zazen, il faut se concentrer sur la posture, et l'esprit devient juste, inutile de penser « je dois corriger mon esprit »

Et donc, que signifie corpsesprit ?


Arrivés à ce stade, nous avons pris conscience de la complexité de la réflexion philosophique /métaphysique derrière chaque concept et de la pauvreté nettement insuffisante des traductions françaises.

Les mots pointent vers des réalités nettement plus vastes, comme un télescope ne révèle qu’une partie de l’Univers qu’il observe.

Il suffit toutefois de prendre un peu de distance et de hauteur pour réaliser de quoi l’on parle.


SHIN 
est le monde immatériel de la Conscience qui s’incarne peu à peu en nous

JIN 
est l’incarnation, càd la concrétisation physique, matérielle, corporelle de cette Conscience immatérielle.

Quand on écrit
心身, on part d’en haut. ESPRITCORPS. C’est une démarche plus immatérielle, qui considère l’incarnation de la Conscience. Quelque part, cela fait penser aux tattvas du Shivaïsme, qui décrivent la lente incarnation de la conscience à différents niveaux . 

Ce sont des disciplines comme la méditation ou les thérapies émotionnelles, où l’on part de la conscience immatérielle. Rappelons que, pour les anciens Chinois, 80 à 90% des maladies, càd des perturbations du ki, sont d’origine émotionnelle.

Quand on écrit
身心,  on part d’en bas CORPSESPRIT C’est une démarche matérielle qui n’exclut pas l’immatériel. On part du toucher, du perceptible dans le tridimensionnel et à partir de là, on s’élève et on peut aller toucher l’immatériel. 

Je dirais que c’est plutôt la démarche du Shiatsu : poser les mains et aller toucher tous les niveaux de l’être. Nous constatons qu’il en est ainsi. Cela va dépendre du niveau d’ouverture du receveur. Certains me disent connaître une expérience franchement mystique. Ils sont ouverts. D’autres pas. Ils ressentent un bien-être. Tout est bon.

Dans quelque sens qu’on le prenne, on veut toujours dire la même chose et l’un n’exclut pas l’autre.

Je crois personnellement que le toucher exclut toute forme d’imaginaire et que la guérison vient toujours d’en bas. On prend le problème par en bas. Le fait que les hexagrammes du Yi Jing s’écrivent de bas en haut est éclairant. De même, en Shiatsu, nous partons d’en bas et nous montons. Nous sommes les pieds sur Terre et nous nous élevons vers le Ciel. Pas le contraire. Nous sommes ancrés, pas flottants.

C’est la vieille question de l’œuf ou la poule : qui était le premier ? Car on peut prendre le problème ‘par en haut’ ou ‘par en bas’. La vraie question, que l’on se pose parfois face à un déséquilibre, est en effet  ‘qui a commencé ? ‘ Est-ce parce que je suis en colère que mon Foie est déséquilibré ou est-ce que parce que mon Foie est en déséquilibre que je suis en colère ? Peu importe. Les deux sont intrinsèquement liés. Mais, en ce qui me concerne, d’abord je pose les mains, et je réharmonise le tout.

Il nous reste, dans l’article suivant, à examiner les deux autres acceptions de Shinjin 身神 et 神身, qui vont nous emmener encore plus loin.





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