Friday 2 December 2022

Secrets de Shiatsu (I) : thérapeute, légitimité et premiers instants

 Inspiré par le livre de Tobie Nathan ‘Secrets de thérapeute’


Tobie Nathan est, depuis 50 ans, ethno-psychiâtre. Il considère que chaque ethnie a son inconscient collectif, son langage, ses traditions, ses mythologies, son rapport au monde des esprits… et que, par conséquent, on ne peut pas traiter cette évidente diversité avec le seul héritage des pères occidentaux de la psychanalyse.

Dans ce livre très authentique, j’ai trouvé beaucoup de bonnes inspirations pour notre pratique du Shiatsu.

Aujourd’hui : Sommes-nous des thérapeutes ? Sommes-nous légitimes ?  Retour aux premiers instants.

Thérapeute ou pas ?


Thérapeute, ouh, le vilain mot, qui, sous certains cieux, suscite de suite l’ire des censeurs sentencieux dévoués à une version autoritaire et monopolistique de la science, génératrice au final de novlangues et de stratégies pour se faire à faire sans dire.

A un autre niveau, la vraie question est : sommes-nous des thérapeutes ?

Comme toujours, il conviendrait de revenir à l’étymologie, sens premier du mot, nécessairement dilué, galvaudé, mal traduit, voire perverti au cours du temps.

Jean-Yves Leloup
(Prendre soin de l’Etre – Philon et les Thérapeutes d’Alexandrie)  nous rappelle cette nécessité de revenir aux origines.  Philon d’Alexandrie a vécu précisément aux alentours de la naissance et de la mort du Christ. Il décrit une communauté juive appelée ‘les Thérapeutes’ , vivant aux environs d’Alexandrie selon des règles qui leur sont propres.

Au temps de Philon, le mot grec ‘therapeutès’ signifie à la fois ‘servir, prendre soin, rendre un culte ‘ et ‘soigner, guérir’. Un cuisinier ou un tisserand est, pour Platon par exemple, un ‘therapeutès somatos’, un thérapeute du corps.

Ainsi, nous dit Jean-Yves Leloup, un thérapeute est un tisserand, un cuisinier, quelqu’un qui prend soin du corps et des images qui habitent son âme, qui prend soin des dieux et des paroles que ceux-ci disent à son âme (c’est donc un psychologue), il prend soin de son éthique, il veille à être heureux, simple, sage… Et il sait prier pour la santé de l’autre, c’est-à-dire appeler sur lui la présence et l’énergie du Vivant qui seul peut guérir toute maladie et avec qui il coopère.

‘Le thérapeute ne guérit pas, il prend soin, c’est le Vivant qui soigne et qui guérit’.

Personne ne guérit personne. Paracelse disait déjà au 16ème siècle : ‘l’homme propose, mais c’est Dieu qui guérit’. Même ceux et celles que l’on appelle, faute de mieux, guérisseurs et guérisseuses.


Jean-Philippe De Tonnac (Le cercle des guérisseuses) apporte ici la nuance qui s’impose : ‘ Guérisseuses : si le terme ne fait pas l’unanimité chez elles, il a le mérite de dire les choses le plus simplement du monde. Des femmes dont les mains, les gestes, le regard, les intentions, les pensées, la vie tout entière, sont tournés vers la guérison’.

Donc, si quelqu’un guérit après un traitement, c’est que son thérapeute n’a qu’un but dans la vie, l’aider à aller mieux.Je ne vois en cet homme nul motif de condamnation’, disait déjà Ponce-Pilate, avant de retourner sa toge.

Devenir thérapeute résonne parfois comme une vocation, un appel auquel il n’est pas possible de se soustraire. Tobie Nathan, commence par dire : ‘Thérapeute, je l’ai été tout au long. Décidé à forcer le destin, j’ai commencé bien avant d’y être autorisé, j’avais à peine 18 ans’.

La voie thérapeutique connaît bien des itinéraires. En Shiatsu, nous prenons soin des gens qui viennent nous voir, nous posons les mains et nous tentons de rendre au corps sa faculté d’auto-guérison. Nous sommes donc bien des thérapeutes, quand on a bien compris ce que veut dire thérapeute.

Par contre, nul besoin de se revendiquer thérapeute si c’est pour créer des catégories, des niveaux, des compétences illusoires. Les réflexions comme quoi l’on pratiquerait du shiatsu thérapeutique, par opposition à d’autres qui ne feraient que de la relaxation, sont déplacées et déplaisantes.

Car dès que l’on pose les mains dans cet esprit qui prend soin, avec toutes nos capacités du moment et tout notre cœur, et que la personne se sent mieux après la séance, nul besoin de qualifier ou de disqualifier… c’est, au sens premier, de la thérapie.

Les dérives sectaires qu’on nous agite sous le nez dès que l’on emploie certains mots, ne sont pas propres à nos pratiques, techniques et arts bien exercés. Elles sont le fait d’individus isolés dont le comportement déviant s’exercerait en fait dans n’importe quelle discipline.

Bon thérapeute ou pas ?


Ensuite vient le doute de savoir si nous nous y prenons bien. Lors de stages, d’échanges… on entend régulièrement, que ce soit exprimé ou en filigrane, des doutes sur la légitimité. Suis-je bien à ma place, suis-je bien compétent, suis-je la bonne personne pour aider les autres ?

‘C’est le doute qui pousse l’homme en avant’, nous dit Paulo Coelho.

Tobie Nathan, lui, ne s’en cache pas : quelles qu’aient été les distinctions qu’on lui a attribuées, ‘je ne me suis senti à ma place dans aucune, obsédé par le sentiment d’être un usurpateur. Jusqu’à ce que je comprenne, il y a peu, que ce sentiment est inhérent à la fonction de thérapeute’.

En effet, ‘reste la question lancinante de sa propre légitimité. Qu’est-ce qui m’autorise à bricoler les devenirs, à modifier l’ordre des choses ?’

Etre thérapeute ne consiste donc certainement pas à se mettre au-dessus des autres, à décider à leur place, à régler leurs affaires, à les pousser à ceci plutôt que cela. Le gourou, c’est celui qui décide à votre place de ce qui est bon pour vous. Les influenceurs, c’est sur les réseaux sociaux. Les mots ‘vous devez’ et ‘il faut’ n’ont pas leur place dans nos cabinets.

Qu’un thérapeute de renom continue, aujourd’hui encore, à douter, serait plutôt rassurant.

La rate qui se dilate…


Je mettrais toutefois une nuance pour le Shiatsu. Car ce sentiment d’usurpation me paraît plutôt du domaine du mental et des thérapies du mental.

En ce qui nous concerne, en effet, il suffit de revenir à la base ‘poser les mains’, de nous faire confiance, d’entrer dans le ressenti, de détecter… et non de douter de ce que nous ressentons. Tout ressenti est bon et ‘normal’, tant chez les receveurs que chez les donneurs. Je m’aperçois, avec le temps, que mes mains savent quoi faire et vont où les points appellent (étymologie de ‘tsubo’, d’ailleurs).

Mais on voit bien les tentatives d’intellectualisation du Shiatsu, par l’instauration de ‘principes’,  de protocoles rigides ou de tableaux à appliquer. Cette façon de faire (ou de ne pas faire, au final) est immanquablement génératrice de doute sur le choix du traitement qui va être donné. Or, s’il est opportun de douter de quelque chose, ce serait plutôt des tentatives d’intellectualiser le Shiatsu.

En quelque sorte, nous ne pensons ‘rien’ et c’est là qu’est la véritable puissance : écouter l’autre et non notre bavardage intérieur, accueillir et non parler, avoir l’intention et non vouloir, discerner et non choisir, en imposer sans s’imposer…

Savoir qu’on ne sait pas n’est pas de l’usurpation, mais de l’humilité. D’ailleurs, les praticien(ne)s expérimenté(e)s vous le diront : plus on avance, moins on en sait, moins on comprend, mais la séance se fait quand même.


Et revoilà Shoshin


Ce qui nous ramène à nos débuts de praticien(ne).

Quand on débute, nous dit Tobie Nathan, on ne pense guère à douter et c’est peut-être grâce à cette inconscience que les apprentis sont souvent plus efficaces que les maîtres. Ils ne s’embarrassent pas de mille considérations et ont le désir sincère d’aider les gens. Peut-être aussi ont-ils foi en l’efficacité de leur pratique, apprise en partie par conviction.

On retrouve là l’esprit dôjô : les ‘débutants’ ont quelque chose à apprendre aux ‘anciens’ et inversement.

On évoque ici le mot Shoshin
初心, concept Zen popularisé par Shunryu Suzuki, généralement traduit par ‘esprit du débutant’ (beginner’s mind), traduction qui semble justifier un académisme déplacé en matière de Shiatsu. Une approche scolaire, non de Maîtres mais de maîtres d’école.

Comme à l’accoutumée, l’étymologie va nous aider.  

Dans ,nous trouvons les significations de vêtement,  couteau/ épée (radical)… Quel est le rapport ? Julien Chabert (Réflexions sur Shoshin dans la Voie, ou une maïeutique de la connaissance dans les traditions orientales) nous fournit la réponse : ‘L'histoire que nous raconte ce caractère à travers ses clés est  : un vêtement à côté d'un couteau représente le rouleau de tissu que l'on coupe pour faire un vêtement. Le rouleau est rompu pour la première fois, souvent cela se faisait au début de l'année, on prévoyait, raccommodait les vêtements pour le reste de l'année. On peut penser aux politiques qui inaugurent un lieu ou un événement en coupant un ruban, la symbolique est la même pour ces deux gestes’. Sho, c’est donc la première fois.

 Shin  , traduit par cœur, désigne en effet l’organe et, au-delà, un état d’esprit (mind). J’ai fini par retenir la traduction ‘ressenti profond’ qui me semble rendre le mieux ce que l’on veut dire.

Dans le contexte de notre pratique, j’aime donc traduire Shoshin par le ressenti profond de la première fois’, qui s’invite à chaque séance, non par feinte humilité, mais par évidence ressentie.


Poser à chaque fois les mains comme si c’était la première fois… dans cette expectative un peu tremblante, mais qui annonce toujours les prémices d’un changement… aucun doute possible là-dessus.

Quant à la légitimité, elle vient de nos client(e)s uniquement, pas de nos profs, nos maîtres, nos collègues…


‘Secrets de thérapeute’ propose bien d’autres inspirations. Dans la partie II, nous évoquerons l’écoute et la parole.




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