Friday, 10 May 2019

Laissez-vous toucher par le Shiatsu





Après avoir regardé cette vidéo sur l’importance du toucher, sa facilité à mettre en œuvre et les spécificités propres au shiatsu, je vous propose, comme à l’habitude, de creuser un peu plus loin. 

Descendre dans les couches plus profondes quand on parle de toucher, voilà bien le travail de toute une vie en shiatsu.

La répétition incessante des pressions dans des conditions différentes et avec des intentions adaptées de séance en séance développe le ressenti. On peut dire que la pratique, et elle seule, offre une connaissance sensorielle « de l’intérieur » tandis que les conseils de professeurs ou de collègues offrent une connaissance (in)formelle « de l’extérieur ».

Pratiquer, pratiquer, et encore pratiquer, voilà la clef. Et entrer en résonance avec les pratiquants sincères, en recherche. Alors, il peut y avoir transmission, ce qui est préférable au simple enseignement de choses à apprendre.

En laissant monter ces réflexions sur la spécificité du shiatsu et de son toucher, afin de vous les partager, il m’apparaît que ce sont des choses que je répète souvent en cabinet quand on me pose des questions. De même que quand on passe plusieurs fois sur un méridien ou un point, la « réponse » change, le fait de réfléchir régulièrement à ce que nous faisons fait évoluer sans cesse les réponses. Mais tant mieux. 

La réponse est toujours juste, en ce qu’elle reflète là où nous sommes. Il ne faut donc pas avoir peur de dire des bêtises, mais simplement dire ce qui est là, sachant qu’il n’y a pas de vérité absolue. Certaines  personnes que nous recevons sont en recherche et le shiatsu peut être un (premier) pas sur un chemin qui les ramène au plus profond d’elles-mêmes. Nous sommes en Occident. On va certes plus loin avec le ressenti, mais nous avons besoin d’explications, d’éclaircissements.

Alors, expliquons et tâchons de transmettre quelque chose en même temps.

L’importance du toucher pour soigner


A la base du shiatsu, il y a le toucher. Quand il n’y a pas de toucher, il n’y a pas de shiatsu. Nous avons évoqué longuement, dans un autre article,  l’étymologie du mot « shi atsu » : « pousser avec les doigts ». Toutefois, ce toucher s’effectue de manière particulière et il y a bien une spécificité du shiatsu par rapport à d’autres arts, disciplines, techniques.

Le shiatsu n’a évidemment pas le monopole du toucher. Les ostéopathes, les kinés, les fasciathérapeutes, les massothérapeutes sont dans cette relation à l’autre par le toucher. Jadis également, - mais malheureusement, cela devient rare -, nos médecins allopathes ne posaient pas de diagnostic sans avoir ausculté, palpé leurs patients.


Il y a cette attente, légitime, de la personne en souffrance d’être touchée. Le toucher est apaisant, il est communication et la main qui va là où cela fait mal signifie : « j’ai compris où est la douleur et j’ai le désir de l’apaiser ». D’ailleurs, spontanément, nous posons nous-mêmes la main là où se trouvent nos douleurs. Quand un client me dit avoir envie de se toucher en un endroit précis plusieurs fois par jour, je l’y encourage, car le corps sait où le toucher va faire du bien.

J’ai entendu quelque part que c’est ce qui se passe la nuit et que la position que nous prenons en dormant répond au besoin de pression sur certains organes. Ainsi, ceux qui dorment sur le côté droit pressent notamment sur le Foie, sur le côté gauche  le Pancréas ou le colon sigmoïde, sur le ventre, l’Estomac, et sur le dos, nous soutenons les Reins, etc. La position dans laquelle nous nous réveillons (inconscient) est évidemment plus révélatrice que celle où nous nous couchons (conscient). 
Si non e vero, e bene trovato…, car, comme nous le disions, le corps sait ce dont il a besoin.
En recevant régulièrement du shiatsu, nous développons cette écoute naturelle du corps et des signaux qu’il nous donne sans cesse, et nous sommes donc mieux à même de respecter ses besoins. 

Ce n’est pas qu’il faille apprendre, cela se fait tout seul. Au fur et à mesure des séances, le corps s’habitue au toucher, le reconnaît et l’accepte de plus en plus rapidement. Le corps reprend sa place centrale, le mental reprend celle qui devrait le plus souvent être la sienne, en arrière-plan du ressenti. 

Comme m’a dit hier une cliente : « je sens que des choses ont lâché ».  Parfait. Pas besoin de développer pendant des heures.

C’est de l’énergétique


Nous partageons le toucher avec bien d’autres disciplines, mais nous ne touchons pas les mêmes choses. Nous ne travaillons ni sur les muscles, ni sur le squelette, ni sur les fascias, ni sur le système lymphatique… même si, inévitablement, certains points se situent sur les os, les muscles, les articulations… Et donc, il n’y a pas de concurrence ou d’incompatibilité avec d’autres disciplines ou de contre-indications par rapport à d’autres thérapies. Quand un client se voit prescrire des séances de kiné pour un problème précis, je l’encourage à y aller, mais juste pas le même jour que son shiatsu.

Comme évoqué dans un article précédent, le shiatsu n’a pas de vocation monopolistique et nous sommes en faveur de collaborations avec d’autres thérapeutes, aussi bien les dits « officiels » que les dits « alternatifs » afin d’aider nos clients communs le mieux possible.

Le shiatsu, c’est donc de l’énergétique. Nous travaillons sur les points et les méridiens décrits par la Médecine Chinoise, nous faisons des pressions de diverses intensités et profondeurs, des connexions, selon des rythmes différents. Il n’y a pas de fluide magique, ni de capacités surnaturelles. Nous pressons et nous posons les mains. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’explication du comment ça marche, mais bien de plus en plus d’études sur les résultats nettement établis du shiatsu. Voir le recensement établi par la Fédération Européenne de Shiatsu, et il y en a bien d’autres, notamment en France. (http://www.europeanshiatsucongress.eu/science-library/)

Comme en arts martiaux, sans force


Il y a pression, mais il ne faut pas de force, ou alors de moins en moins au fur et à mesure que l’on pratique. « Beaucoup trop de force », disait à l’occasion Sensei Kawada en nous voyant travailler. 

Comme en Kyudo, où il faut arriver à bander l’arc sans force et où le lâcher de la flèche a lieu « tout seul », en shiatsu, il faut également pouvoir presser sans force ou, comme l’exprime Bernard Bouheret « effacer le pouce ». Sinon, il y a dureté, douleur, et on s’épuise. Il y a bien d’autres parallèles à tracer avec d’autres arts martiaux, comme l’aikido, ce qui n’a donc rien à voir avec de la force, mais un travail sur les énergies en présence. Comme souvent, « less is more ».  

Que l’on donne ou que l’on reçoive, il n’y a au fond qu’une seule recette pour accroître l’efficacité : pratiquer, pratiquer et encore pratiquer. La régularité est la meilleure garantie de résultats plus rapides et plus stables. On peut faire du shiatsu de temps en temps ou quand on en ressent le besoin, mais le mieux est d’installer une régularité, qui sera bien plus payante sur le long terme. Retour aux origines, perdues presque partout, y compris en Orient : la prévention.

L’arrière-plan est oriental


Les Orientaux s’occidentalisent, hélas, mais cela ne change rien aux origines de l’art que nous pratiquons qui sont, elles, bien orientales. Et donc, il serait pour le moins étrange de dénaturer notre shiatsu en tournant le dos au Japon pour n’en conserver qu’une très approximative inspiration.

Dans la vision Orientale, quand on touche, on ne touche pas qu’un corps. L’effet de ce toucher dépasse le domaine matériel, le monde des phénomènes, et pour moi, c’est une spécificité. Les Orientaux ne dissèquent en effet pas l’être humain en différentes couches, chacune étant attribuée à un spécialiste, comme nous avons tendance à le faire.
Les points correspondent à des maux bien physiques, mais ils peuvent avoir un aspect, une origine, une conséquence psychologiques, émotionnels, spirituels, …  Ils vont gérer des aspects très ponctuels, voire localisés, ou s’adressent à la circulation de l’énergie dans tout le corps. Ils prennent en compte l’intensité de la circulation de l’énergie. Ils peuvent également être saisonniers. Le nom du point sera parfois révélateur de ce qu’il traite ou de l’effet qu’il peut produire. Il appartient à un système, une vision de l’Univers et de l’Homme dans l’Univers mis au point sur quelques milliers d’années. Le livre "L'Esprit des points" de Philippe Laurent en est une magnifique et érudite illustration. 

Au moment où nous pratiquons le shiatsu, ce système cosmologique et anthropologique (l’un n’allant pas sans l’autre) est notre référence, à l’exclusion de tout autre. 

Nous sommes d’accord pour dire que le Grand Tout est indescriptible (« Le Tao qui est nommé n’est pas le Tao ») et du domaine du pur ressenti, mais dès le moment où nous tentons une compréhension, nous devons bien choisir un système. Ainsi YinYang, les 5 mouvements, Ciel-Homme-Terre, les méridiens, les différents aspects ternaires, dénaires et dodénaires … sont des éléments du système à la base du shiatsu et donc le cadre au sein duquel nous travaillons. On sait bien que tout système est une explication partielle et imparfaite, mais mélanger les systèmes amène la confusion. Nous n’excluons pas d’autres angles de compréhension pour nous-mêmes (c’est un enrichissement), mais nous ne mélangeons pas les approches en cabinet.

Si le shiatsu plonge ses racines dans l’Orient, il n’en a pas moins développé sa spécificité. Cette citation de Maître Kawada illustre bien toute la complexité et la richesse de notre art.  " Le shiatsu n'est pas une technique thérapeutique clairement définie au sens occidental. Son art ou sa pratique est d'avantage un continuum, un mélange de philosophie, d'expertise professionnelle et d'auto-guérison, d'exercices et d'étirements, de réflexions sur la vie, et un système sophistiqué de diagnostics intuitifs avec un arrière-plan spirituel implicite. […] C'est une manière de vivre, une philosophie, un remède familial efficace et un vaste système de diagnostic et de guérisons. […] En diagnostiquant et en répondant aux phénomènes disponibles à tous les niveaux et en mobilisant de ce fait le pouvoir de guérison inné du corps-esprit, le shiatsu sort de toutes les catégories de médecine contemporaine standard de l'Orient comme de l'Occident." (Yuichi Kawada)

Toucher tous les niveaux de l’Etre


Clairement donc, le toucher que nous pratiquons ne se limite pas au physiologique.

Le toucher effectué avec le Cœur met en mouvement. En Occident aussi, ne dit-on pas de quelque chose qui suscite en nous une émotion : cela me touche ?

Nous travaillons sur tous les niveaux de l’Etre, s’il fallait vraiment les distinguer. La preuve en est au cours du travail, avec des manifestations très diverses, selon la personne, le moment, le travail effectué, la sensibilité...

Il n’est pas rare que tout à coup une émotion surgisse, la personne se mette à pleurer, ressente une colère, soit prise d’un rire incontrôlé… La respiration soudain s’amplifie, s’approfondit. Il y a sensation de froid ou de chaud. Il y a des fourmillements dans le corps. Des sensations apparaissent le long du méridien traité, ou dans d’autres endroits du corps, sans lien apparent. Les pensées s’apaisent, la personne entre dans un état semblable à la méditation. Parfois s’endort. Il y a vision de couleurs, ou d’images mentales. Un sourire apparaît soudain là où il y avait crispation. Des tremblements ou des vibrations surgissent. Ou encore, la personne peut ne ressentir « rien de spécial » en partant, mais les réactions se déclenchent plus tard, ou le lendemain. Et parfois, il y a le fameux effet « Menken », où on se sent plus mal parce que des choses doivent absolument s’évacuer avant de se sentir mieux. 

Et pourtant, si une caméra était en train de filmer, elle n’enregistrerait que le praticien en train de faire des pressions. Il n’y a ni thérapie émotionnelle, ni séance de psychanalyse, rien d’autre que du shiatsu, c.-à d. : « presser avec les doigts ».

Chaque fois, l’inattendu me ravit.



Les pressions sur le corps travaillent donc sur ce que j’appelle « d’autres niveaux de l’être », psychologiques, émotionnels, spirituels… Est-ce systématique ? Non, uniquement s’il y a un besoin. Equilibrer le corps se passe au sens large. Et nous sommes larges, bien plus larges que les limites de notre corps physiologique. Nos cellules contiennent de l’information du niveau le plus concret au plus subtil.

A certains moments, le toucher se fait plus large, comme « impalpable » ou « effacé », mais en fait non. Que ce soit le shiatsu fluidique développé par Bernard Bouheret, où les mains se posent à peine après avoir bien « baratté » le corps, ou que l’on descende dans le corps de souffle avec une pression « en sablier »… Ou encore que l’on expérimente le Seiki, développé par Kishi Sensei, où la main se pose simplement - « faire sans faire, toucher sans toucher » - et où les corps entrent en résonance… 

Nous entrons là dans des dimensions à explorer à l’infini et impossibles à formuler, mais qui partent bien du toucher. Une clef de compréhension ? Souvenons-nous que microcosme = macrocosme, simplement.

Et relisons, à la lumière de ce qui précède, la célèbre phrase de Tokujiro Namikoshi : shiatsu no kokoro wa – le cœur du shiatsu – haha no gokoro – est (comme ?) le cœur d’une mère – oseba : si on pousse – inochi no izumi waku on fait jaillir les sources de la vie.

Traduction approximative, d’ailleurs, car « kokoro », pour un Japonais, est un concept bien plus large que l’idée que nous nous faisons du coeur et « inochi » est un des mots pour dire la vie, mais pourquoi celui-là ? Un autre article, un jour…

Par contre, « oseba », si on pousse, ne laisse aucun doute : c’est bien clair qu’il faut le toucher, le fameux premier pas sur le chemin de cent lieues.

Le corps et au-delà


Et allons d’ailleurs un pas plus loin. La pression dépasse de loin les limites du corps et va aller influencer l’environnement. Maître Ohashi a parlé un jour de l’environnement de la personne comme facteur venant enrichir le diagnostic. Je suis sûr qu’inversement, le shiatsu pratiqué sur quelqu’un peut modifier des situations compliquées, des relations difficiles, voire le cours d’une vie qu’on pourrait penser subir.

Car quand l’énergie de quelqu’un change, les interactions avec le monde extérieur changent également. On dit : soyez le changement que vous voulez voir arriver dans le monde. Changez, et le monde autour de vous changera.

Nous sommes également le fruit de nos interactions avec d’autres, nous appartenons à des systèmes que nous influençons et qui viennent nous influencer et on sait bien que notre façon d’être, nos pensées, nos émotions influencent la réponse de l’environnement proche et lointain. Jung avait déjà fort bien décrit le mécanisme des projections : ce que nous projetons de nous-mêmes sur l’autre revient à son tour nous influencer.

Profondément ressourçant et recentrant, le shiatsu permet des changements profonds de l’Etre et peut donc déboucher sur des changements de l’Etre considéré dans la « matrice ».

Eric Baret résume cela merveilleusement : « arrêter de prétendre » être comme ceci ou comme cela, recentrer sur l’écoute, laisser l’énergie couler librement à chaque instant.

La pyramide est sur sa base : centré et puissant dans le hara, la poitrine ouverte, la tête paisible.

Mettez les mains


Toute considération mise à part maintenant, revenons en séance. Praticien et client, nous sommes bel et bien et avant tout dans le ressenti. « Mettez les mains », disait Kawada Sensei lorsque nous avions envie de poser mille questions sur ce qu’il fallait faire et comment. Shikantatsu, disais-je dans un article précédent : seulement pousser.

La pression de nos doigts est notre seul outil et la seule réponse que nous ayons à toutes les questions ou les situations qui peuvent se présenter. Je suis outré d’entendre que, dans certaines disciplines ou thérapies, si on ne trouve pas la cause, on ne peut rien faire et on renvoie la personne souffrante en disant qu’on ne peut pas l’aider. 

La compréhension des causes est pour moi un « nice to have », qui n’est pas toujours indispensable ou possible. Bien entendu, il y a une réflexion, une connaissance de la technique qui va décider d’une orientation du travail. Mais parfois, on ne sait pas et, d’ailleurs, fondamentalement, personne ne sait. Alors, on fait. On met les mains.


Cet article vous a touché ? Ne le gardez pas pour vous. Partagez-le. Il ira peut-être toucher d’autres encore.

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