Dans notre recherche de définition du shiatsu, il est
fondamental d’essayer de comprendre l’étymologie des mots.
Contrairement aux
langues indo-européennes, l’étymologie n’est pas à chercher dans une langue
plus ancienne, mais dans la compréhension des Kanji, c’est-à-dire des
idéogrammes en présence.
Il s’agit donc de regarder, les idéogrammes étant à la base
la transcription graphique de l’observation de la réalité, épurée et stylisée
ensuite par des siècles d’utilisation. Regardez par exemple l’évolution des caractères chinois (de gauche à droite).
(source www.pragmaticmom.com)
De la bonne lecture des kanji
Les malheureux Occidentaux débarquant en Chine et au Japon au
temps des colonies ont eu bien du mal à transcrire cette représentation du
monde dans leurs langues syllabiques où les mots ne représentent en rien ce que
l’on voit. Quand on dit « lune », ni
« lune », ni « lu » ni « ne » ne veulent
dire quelque chose. Par convention, on a appelé cet objet « lune ».
Un Oriental, lui, dessine la lune. C’est une différence fondamentale.
Ajoutons le fait que certains concepts occidentaux étaient
(et sont toujours) absolument étrangers à la pensée orientale, que ce soit
« Dieu », « religion », « bien et mal »,
« immuabilité", « perfection » ou même … « je » ou
« zéro ». Et quand on dit « un », on ne voit pas la même
chose !
Incapables de s’ouvrir à une pensée différente de leur cadre de référence
chrétien, soucieux d’évangéliser et de démontrer que leur Dieu était universel,
les Jésuites et leurs successeurs ont donc accumulé de grossières erreurs de
sens et d’interprétation, cherchant à tout prix à faire rentrer l’Orient dans
le christianisme…
Aujourd’hui, heureusement, les sinologues et japonologues remettent
tout cela en question et s’attachent à rectifier. Mais il circule encore des
idées fausses sur la pensée orientale.
Sachant cela, quand nous voyons un kanji, trois règles sont
donc d’application :
- Regarder, et voir ce qu’il éveille en nous ;
- Ne rien voir qui n’y soit pas culturellement ;
- Ne pas se baser toujours sur ce qu’ont dit les autres, car il est possible qu’ils aient mal traduit (en fonction de leur cadre de référence).
SHI, et puis ATSU
SHI ATSU est un terme récent, datant de moins d’une centaine
d’années. Pour le créer, on a associé deux caractères existants, parmi les
quelque 7.000 qu’il faut pouvoir déchiffrer pour être un bon connaisseur de la
langue japonaise. Pour lire le journal, on se débrouille avec 2.000.
Nous avons SHI 指, traduit communément par « doigt ». Et
puis ATSU 圧 :
traduit communément par « pression ». Donc, shiatsu = pression des
doigts.
On pourrait s’en satisfaire, mais de temps en temps, il vaut
mieux vérifier le communément accepté,
que tout le monde répète d’article en article sans vérifier ses sources.
C’est Damien Bénis, praticien français, qui a attiré mon
attention à l’issue du dernier stage de shiatsu sur sa perplexité par rapport à
la traduction communément acceptée, à son sens trop peu nuancée. Ce qui m’a
donné envie de creuser.
SHI, plus en détails
Dans les Kanji, il y a des racines et des clés de lecture.
On voit bien que SHI 指 se compose
de trois caractères juxtaposés.
- A gauche, YUBI : le doigt – dérivé de la clé « main » qui s’écrit comme ceci quand il n’est pas associé : 手.Dans d’autres associations de ce signe dérivé de la main, on trouve comme significations : direction, conduite, chef d’orchestre, commandant, chef, empreinte digitale, ordre, observation…
- La partie de droite se compose de deux signes, se prononçant SHI ou MUNE, et signifiant : intention, objet, directives, teneur…旨
- Le signe du dessus, 匕 pris séparément, signifie « cuiller »,
ou « ustensile servant à manger ».
- Le signe du bas est moins clair. Certains y voient une bouche. Mais la bouche n’est en aucun cas barrée d’un trait et s’écrit 口. Ou alors, quand elle est barrée d’un trait, la signification est « amai », doux, savoureux, ce qui s’écrit comme ceci 甘. Mais le caractère fait plutôt penser à « jour », « soleil » 日.
Donc, ce qui se traduit par « doigt » contient
comme signification :
- Main/intention, si on se limite à deux parties
- Main / Cuiller / doux, ou Main/ ustensile/ jour, si on s’amuse à disséquer la deuxième partie.
Donc, « doigt », indépendamment de tout contexte
shiatsu d’ailleurs, c’est la main avec une intention, un objet.
En effet, on
emploie ses doigts pour faire quelque chose : travailler, jouer de la
musique, tenir des objets… « Doigt », c’est la main dès qu’elle
fait quelque chose. Remarquez qu’on n’a pas précisé quel doigt. Nous employons
beaucoup nos pouces, mais on n’a pas retenu le nom « pression du
pouce », auquel cas on aurait employé le kanji « oyayubi » 親指. En shiatsu, par conséquent, on
utilise LES doigts, en tant que parties agissantes de la main.
Le doigt a l’intention de faire quelque chose. Damien Bénis,
à l’origine de cette réflexion, met cet aspect en avant également. Il précise
que « Le caractère
exprime également le fait de montrer du doigt, ce qui évoque l’aptitude à
percevoir et à mettre à jour qui sera utile dans le diagnostic ».
ATSU, plus en détails
Deuxième kanji, ATSU, que l’on traduit par « pression,
domination » et qui s’écrit 圧
On voit bien les deux parties, de nouveau. La clé signifie
« falaise ». Sous « falaise », nous trouvons le sol, la terre,
qui s’écrit 土.
Pression, domination se lit donc en fait falaise / terre, ce qui
est une curieuse juxtaposition verticale.
« Falaise » renvoie aux
falaises de la grande plaine centrale de Chine le long du fleuve jaune, où
effectivement se trouve le centre même de la terre de Chine et de sa
civilisation jadis agricole. On ne voit pas la falaise quand on est dessus (à moins d'être à l'extrême bord), mais dessous, et on regarde vers le haut.
« Terre » mérite que l’on regarde les
anciennes graphies, qui nous parlent d’un monticule de terre, comme un tertre
funéraire. Certains relient à un phallus dressé (ce qui est un pléonasme). J’y
verrais bien un menhir.
Donc, bien que le caractère signifie
« pression » (vers le bas), ses éléments indiquent un mouvement vers
le haut, en un endroit « tellurique » qui n’est pas innocent (on
n’enterrait pas les gens n’importe où), sous une falaise, donc protégé, à
l’ombre.
Nota bene : avoir la Terre dans le nom shiatsu me suffit pour
conclure qu’il faut travailler au plus près du sol.
L’intention « vers le bas » émise par le mouvement des
doigts appelle une réponse « vers le haut ». Les vortex vont, c’est
évident, dans les deux sens. Un kanji « Yang » en haut, un kanji
« Yin » en bas, car n’oublions pas qu’à l’origine, les Japonais
écrivent de haut en bas. Tout semble à sa place.
指
圧
L’interprétation de M. Masunaga
M. Masunaga, un des fondateurs du shiatsu moderne, érudit et
chercheur honnête, donnait déjà pour sa part une interprétation dans son livre
« Shiatsu et médecine orientale » :
- SHI, idéogramme désignant les doigts de la main composé du caractère .. symbolisant la main et du caractère … qui correspond au son « Shi » de la lettre, signifiant littéralement « ramification », « se ramifier », « se diviser », désignant les doigts.
- Atsu, tenir, maintenir et également pousser, presser, lettre composée des deux parties … « couvrir » et … venue du pictogramme , image d’un tertre élevé en l’’honneur des divinités de la Terre, signifiant « Terre », l’ensemble signifiant étymologiquement « couvrir avec de la Terre » et de là : tenir, maintenir, presser.
Ce n’est pas tout à fait pareil. M. Masunaga était
particulièrement méthodique dans ses recherches et, de plus, Japonais. On peut
donc penser qu’il comprenait bien l’origine de sa langue maternelle. Il met en
avant certains aspects.
Et d’autres très récentes…
Il y a ainsi beaucoup d'analyses des Kanji "Shiatsu". J'en ai encore lu deux récemment.
Damien Bénis conclut que « Nous pouvons également traduire le mot Shiatsu par l’intention
du donneur de comprendre et d’apaiser en offrant un espace de transition d’énergie
au receveur, cela par l’intermédiaire de ses mains. En outre, le mot Shiatsu
semble bien refléter cet art, qui semble en apparence d’une simplicité extrême,
mais qui est le fruit d’une grande sagesse et d’un savoir faire millénaire
issue de la culture orientale".
Ivan Bel, dans son article
sur la signification de « shiatsu », analyse l’origine
chinoise des caractères et traduit « la dague des mains tranche pour faire
de la lumière » et « fabrique de la terre avec ses mains », ce
qui peut se justifier par le choix d’une option de traduction des différentes
parties des kanjis.
Interprétation valable, dans un sens alchimique, où la
pression des doigts permettrait de faire jaillir la lumière du corps, soit
rétablirait la primauté du « Shin » en enlevant les déséquilibres,
tout en produisant un résultat concret.
Ces deux analyses sont déjà des choix, qui correspondent, il est
vrai, à ce qu’on peut constater des effets du shiatsu.
Il me plaît pour ma part de
rester « en-deçà » et de simplement méditer la juxtaposition et
l’imbrication des significations partielles et globales des Kanjis, ainsi que
leur mouvement général.
- Doigt /intention - De haut en bas
- Falaise /Terre (tertre) - De bas en haut
Et donc, en s’en tenant à ce minimum, shiatsu signifie quelque
chose comme « l’intention des doigts en action vers le bas suscite une
réponse de la matière vers le haut ».
Il est bon de simplement méditer de temps en temps ces
représentations et de laisser se clarifier en nous ce qui se passe quand nous pratiquons.
A partir de là, les possibilités sont infinies, comme pour tout mouvement de l'énergie dans l'Univers. Partant de l'Un, nous atteignons les 10.000 Etres.
HI... RO !
No comments:
Post a Comment