Wednesday, 17 November 2021

La façon japonaise : retrouver notre légèreté par le Shiatsu

 Le shiatsu est un art Japonais. En Europe, ce sont essentiellement des Européens qui le pratiquent. Alors, authentique notre shiatsu ? Comme au Japon, ou pas du tout ? Quels critères utiliser ?


J’étais ravi de lire une interview récente d’une collègue japonaise établie à Reims,
Mme Hiroko Mizuguchi, qui évoque la légèreté comme une caractéristique japonaise. Voilà qui résonne bien, et nous parle de ‘kokoro’ : état d’esprit, ressenti profond.


Il y a comme un complexe face aux Japonais


Dans un article sur la légèreté, je ne vais pas m’appesantir, mais généralement, on ne place pas le débat sur ce plan-là, quand on réfléchit aux possibles
différences ou ressemblances  entre le Japon et l’Occident.

En Occident, nous avons hérité du shiatsu, arrivé ici comme tant d’autres pratiques japonaises, dans la seconde moitié du 20ème siècle. Les premiers enseignants étaient tous des Japonais et puis, de génération en génération, les élèves occidentaux ont pris le relais.  Et donc on est en droit de se demander si on s’est éloigné des origines. On sent même comme un petit complexe par rapport au Japon. Mais comme il n’y a pas grand monde qui aille vérifier ou, tout simplement, qui soit capable de communiquer  en Japonais, tout cela reste flou.

On va ainsi
tenter de se comparer au nombre d’heures (nettement supérieur au Japon), au style de formation, à la reconnaissance officielle du shiatsu là-bas (certaines écoles, en fait). On va dire que les Japonais aiment les fortes pressions à la limite de l’insupportable et que nous, on ne peut pas travailler comme cela (alors que ce n’est qu’un style, loin d’être la norme)…

Disons que tout cela ne concerne que les formes extérieures du shiatsu et que l’on navigue ici entre
quelques écueils : fausses perceptions, projections (‘l’Orient rêvé des Occidentaux’), légendes, méconnaissance voire réécriture de l’histoire, traductions erronées, inaccessibilité des sources, éloignement du pays-mère… Connaissances partielles et positions partiales, donc. A nous d’extraire de leur gangue les pépites authentiques.

Pour couper court à ce genre de discussions, je rejoins volontiers M. Masunaga qui désamorce le débat dans ‘Shiatsu et médecine orientale’ (p 111) en disant que, s’il faut évidemment des principes de pratique, on ne peut pas perdre sa personnalité en figeant la forme de sa thérapeutique. Et de dire qu’en Shiatsu, c’est
‘un thérapeute, une école’. Faisons, dès lors, comme nous le sentons.

Légèreté et gaieté chez les praticiens Japonais


Comment, dès lors, nous rapprocher du Japon dans notre pratique ? Si donc on place la personnalité et les données culturelles à la source de la pratique du shiatsu, on peut effectivement se demander
ce qui caractériserait un(e) praticien(ne) japonais(e).  C’est là qu’il faut lire (sur le site de Shiatsu France) cette belle interview de MmeHiroko Mizuguchi, praticienne installée à Reims.

A la question ‘Voyez-vous des différences culturelles dans la pratique du shiatsu entre les deux pays ?’, elle répond prudemment qu’elle n’a pas encore reçu beaucoup de séances en France pour émettre une opinion, mais nous parle du Japon :

J’ai l’impression que les shiatsushis au Japon ont l'air plus détendus et plus légers. Les shiatsushis que j’ai rencontrés au Japon sont très à l’écoute et sont attentifs aux résultats de la séance. Ils ont aussi de la légèreté et de la gaieté. A chaque séance, j’étais plus joyeuse après la séance avant d’arriver au cabinet grâce à leur technique mais aussi à leur bonne humeur’.

A voir les discussions Shiatsu sur les forums, on pourrait effectivement penser que le shiatsu n'est pas très drôle en Occident. Mais de mes études avec Maître Kawada, je retiens absolument un bon sens de l’humour. Rares étaient les cours où il ne riait pas, il adorait qu’on lui balance des vannes en tous genres et appréciait le fait qu’on aime ‘rigoler’. Il aimait aussi raconter de bonnes histoires, un caractère que l’on retrouve chez d’autres comme MM. Tsuda et Ohashi, allant même parfois jusqu’à l’absurde. Regardez Tokujiro Namikoshi et son sonore ‘HAHAHA’ qui clôturait son célèbre slogan ‘shiatsu no kokoro wa’.  


 On observe cela partout au Japon. Dès qu’on sort des villes, les gens sont finalement curieux, assez familiers et on voit beaucoup de personnes âgées discuter et prendre du plaisir ensemble de façon parfois démonstrative. Oublions l’image d’un peuple coincé dans une impassibilité sociétale.


The Japanese Way


Me revient à l’esprit la scène de Zatoichi, où Takeshi Kitano joue le rôle de ‘Anma san’ (‘Monsieur Masseur’). On le voit donner un massage avec les pouces et les coudes à la dame qui l’héberge, tout en discutant le plus naturellement du monde des bandes de vauriens qui rançonnent les gens. Tout cela débouchera sur un carnage épouvantable avec des jaillissements d’hémoglobine. Ce naturel, à l’écoute des problèmes des gens, est précisément ce à quoi fait allusion Mme Mizuguchi. Aussi décalé que puisse être Kitano, il est profondément Japonais et sait ce que fait un praticien.

Quant à nous, nous ne deviendrons jamais Japonais (un autre mythe serait de le croire), mais nous pratiquons un art Japonais. Il y a dans l’esprit japonais tant de pratiques et de personnes inspirantes et nourrissantes. The Japanese Way. 日本の道 ! Une manière d’être qui nous rapproche, au-delà des possibles différences de pratique et de culture.

La manière d’être en cabinet

Voyons donc si nous sommes capables d’être en adéquation avec la manière d’être japonaise qu’évoque Mme Mizuguchi.

Plus détendus 

Nous sommes tous stressés à des degrés divers, perméables plus ou moins au stress ambiant, mais voilà, il faudrait que pas, ou peu au cabinet. Pratiquer l’ici et maintenant qu’on nous remet à toutes les sauces. Détendu et disponible, donc. Comme dit Mme Yamamoto, être 'supérieur' à nos receveurs / receveuses, par quoi elle veut dire en meilleure santé générale.

Je donne souvent l’image du trop plein. Quand c’est plein, il n’y a pas de place. Que ce soit pour accueillir de nouvelles choses, pour changer d’orientation, pour faire un enfant. Et pour donner un shiatsu, donc.

Plus légers 

Là, c’est l’énergie du Cœur Empereur qui va rayonner dès que nous sommes plus ou moins alignés et harmonisés. Bien centrés dans notre hara, le cœur ouvert et le mental apaisé. Le triangle de M. Tsuda enfin sur sa base. Ce n’est pas un état à rechercher, mais à laisser advenir.

Très à l’écoute

C’est pareil. On écoute avec les oreilles et si la tête est pleine, rien ne rentre. On écoute avec le cœur et si il chavire, on n’entend rien. On écoute avec les mains, et si on n’est pas dans les mains, on passe à côté de ce qui se passe, là. Créer de l'espace.

Attentifs aux résultats de la séance 

Rester dans la position de l’observateur qui voit le receveur, soi-même et l’interaction. S’adapter à tout moment. Seule la présence totale entraîne l’absence (relative) du moi.

Et surtout : légèreté et gaieté

Légèreté et gaieté. S’il y a la joie, il y a la gaieté qui est son expression. Aussi grave ou dramatique que puisse être la séance, même si on a pleuré, après la gaieté resurgit.

Inochi no izumi waku : la fontaine bouillonnante de la vie apparaît soudainement, c’est une partie du slogan de M. Namikoshi. Lequel considérait
‘bien rire’ comme un des 5 critères de bonne santé.

Lors du dernier weekend de formation, on me faisait remarquer qu’on ne rit plus, et quand on rit c’est toujours de quelqu’un, pour stigmatiser ce que l’on trouve ridicule. On montre du doigt et on se moque. Pauvre sens de l’humour… Où sont les grands, les Pierre Dac, Raymond Devos et autres qui racontaient des histoires savoureuses et absurdes sans blesser personne ?

C’est cet humour joyeux qu’il nous incombe de réinventer en cabinet. Quand ça me prend, je chante une petite chanson. Cela fait toujours sourire. Etre praticien, c’est être bon public, rire des histoires qu’on nous raconte et bon acteur, en raconter des drôles.

La leggerezza ! J’aime le mot en italien, car il sonne comme une caresse, un effleurement. Pourquoi la légèreté de l’être serait-elle insoutenable ? Rate en déséquilibre !

Contagiosité

Quand Mme Mizuguchi dit qu’elle se sent plus joyeuse après la séance, c’est la photo d’avant et d’après. Regardez le visage de vos receveurs, ils ne sont normalement pas le même avant et après. Alors, vous avez donné une bonne séance.

Mais elle se sent aussi joyeuse à cause de la technique. Nous pouvons être puissants, mais pas pesants. Cela nous ramène au rythme musical d’une séance et finalement au Ki Do Ma : le bon geste – avec la bonne intensité – dans le juste intervalle de temps.

Alors, pouvons-nous faire tout cela et nous rapprocher de ce qui se fait au Japon ? Assurément ! C'est l'essence même de notre art : qui nous sommes détermine ce que nous faisons.


Entre omoi et karui, moins lourds et plus légers

La langue japonaise nous donne enfin à nouveau des éclairs de compréhension.

Le caractère japonais pour lourd est , ce qui se dit omoi, avec l’idée de choses empilées qui font que c’est lourd.  Pour être moins lourd, il s’agit d’enlever des couches.

Léger, c’est karui ce qui contient l’idée de légèreté, offrir peu de résistance, se sentir léger et donc se déplacer facilement (la racine du kanji est un véhicule ), pas important et le cœur léger.

Si nous avons le cœur léger, nous aurons le corps léger, fondamental pour notre pratique !



ALORS… ?


Le cabinet comme oasis au milieu de la lourdeur ambiante
Un temps différent dans la présence
Un endroit où déposer les fardeaux, les poids et les peines
Un échange léger et joyeux car là est l’essence de la Vie
Le pétillement des cellules et des yeux avant de repartir

ça vous dit ?

Alignés avec nos collègues japonais, dans l’authenticité. Praticien et receveur unis dans la même légèreté de la Vie. Bienvenue sur les tatamis !


Joie et clarté des Corps Glorieux, comme disait Messiaen. Mais ici sur Terre.

APPENDICE


Outre la manière d’être, il y a également des façons de faire qui nous sont totalement accessibles pour nous rapprocher du Japon, sans se prétendre spécialiste du Japon.

Si vous avez envie de creuser, j’y ai déjà consacré deux articles :

Thursday, 11 November 2021

Sammyaku no hô , la méthode en trois points pour connaître ou changer votre destin

ABSTRACT

Résumé de cet article :


De tous temps, l’homme a connu l’angoisse du lendemain et proposé plusieurs réponses, religieuses, philosophiques ou très pragmatiques à la question, pour simplement se rassurer.

Les temps que nous vivons sont venus nous le rappeler, si nécessaire.

Les sammyaku sont une pratique venue du grand fonds philosophique et médical oriental, qui s’est perpétuée jusque de nos jours. L’intérêt pour nous est qu’elle utilise des points que nous utilisons en shiatsu également.

Il s’agit de connecter en triangulation P8 sur l’artère radiale et ES9 à gauche et à droite sur les carotides. En cas de déséquilibre, il y a danger pour la vie.

La question n’est pas de savoir si ça marche ou si c’est scientifiquement vérifié. Dans le cadre propre au shiatsu, rappelons-nous :

  1. l'intérêt de nous ouvrir à diverses pratiques et d'être inclusifs

  2. la nécessité de nous harmoniser aux énergies du Ciel et de la Terre, une dysharmonie en nous-mêmes ou entre notre manifestation et l’Univers pourrait être fatale.

  3. les points travaillent à bien des niveaux, pas seulement sur le fonctionnement des organes, mais aux niveaux psychique, émotionnel et spirituel, ainsi que sur l’interrelation avec tous les êtres.

  4. faisons donc une incursion dans l'approche des pratiques divinatoires anciennes

  5. Energie acquise, énergie innée : pouvons-nous changer notre destin ? Qu'en disent les Orientaux ?

Tout cela est développé dans le texte. Et maintenant, bonne lecture !




SAMMYAKU NO HÔ

Allons-nous mourir tout à l’heure ? Ou demain ? Eternelle question, visiblement devenue obsédante pour beaucoup de personnes par les temps qui courent.

Chacun aura recours aux méthodes de prédiction ou de divination de son choix pour essayer de lire son avenir. Il y a pléthore ! Et ne dites pas que vous n’avez jamais cédé à la tentation.

Mais il y en a une qui vaut une analyse, car elle utilise des points de shiatsu que nous connaissons bien. On l’appelle le SAMMYAKU NO HÔ.
三脈の法.

C’est Itsuo Tsuda, esprit curieux et jamais en peine de raconter une bonne histoire qui m’a mis sur la piste de cette pratique. Dans ‘Face à la science’, tome 9 de son Ecole de la Respiration, il nous dit que son maître Noguchi (Haruchiko Noguchi, fondateur de la pratique du Seitai) enseignait les sammyaku aux pratiquants de Seitai vers la fin de la guerre, alors que Tokyo était exposée aux raids aériens. Ils savaient ainsi s’ils allaient mourir ou non. Voilà qui suscite notre curiosité. Creusons un peu.


Etymologie par les kanji


Pour savoir ce que c’est, comme d’habitude, allons voir les kanji

san, signifie 3 et devient sam par redoublement devant le m de myaku qui suit.

myaku, veine, pulsation, pouls… mais aussi  ‘vaisseau’. On l’utilise pour les vaisseaux sanguins, mais aussi pour les  ‘vaisseaux curieux’  (dont le nom complet en Japonais est Kikei Hachimyaku, en Chinois Qi Jing Ba Mai et cela s’écrit pareil : Ki (extraordinaire, désigne les parcours hors méridien) Kei(Méridien) Hachi(Huit) Myaku (circulation).

no, déterminatif, signifie ‘de’

, hô, signifie méthode, principe, système et celui-là, nous le connaissons aussi à cause du livre de Tempeki Tamai  指圧法, méthode de shiatsu.

Donc, 三脈の法, sammyaku no hô, se traduit habituellement par méthode des trois pouls. Mais gardons bien en tête l’idée de flux qui est inhérente au mot myaku.

Anticiper les dangers


Il s’agit en fait de vérifier la concordance de trois pouls spécifiques et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

Itsuo Tsuda replace la pratique dans le Japon ancien, puisqu’il nous raconte qu’on vérifiait les sammyaku lors des voyages des Daimyo (nobles japonais qui gouvernaient les provinces), avant le départ. S’il y avait perturbation dans les trois pouls, il y avait danger de guet-apens. Et donc, il ne fallait surtout pas rester là, et changer l’itinéraire.

Les sammyaku permettent de détecter une réaction de l’organisme face à un danger imminent.

Sensation plutôt émoussée chez les humains, d’habitude, mais pas chez les animaux. On sait que ceux-ci sont capables d’anticiper les catastrophes naturelles, voire, dans le cas d’animaux domestiques, la mort d’un humain ou la leur.

Pour ceux qui n’ont pas le mauvais pressentiment à fleur de peau, ou qui veulent vérifier leurs pressentiments, les sammyaku sont une méthode très pratique et facile. Si les trois pouls sont en concordance, on peut rester là. Sinon, il faut partir tout de suite.

Toujours utilisée de nos jours


En creusant un peu, j’ai été surpris de constater que le sammyaku no hô est toujours utilisé au Japon aujourd’hui, et même enseigné.

Ainsi, M. Ichibay qui se définit comme ‘ a sake drinker’ nous partage-t-il dans son blog ‘Sake, kimono and tabi’ ses réflexions sur le sammyaku au lendemain du tsunami de 2011 et nous raconte-t-il qu’il l’a appris de son ‘entraîneur en cascade’. Il faut comprendre par là la pratique Shinto de se tenir sous une cascade pour pratiquer le misogi (purification). Ainsi les sammyaku permettent-il de voir si, en allant sous une cascade, on risque, par exemple, une hypothermie, de glisser sur un rocher ou de se prendre sur la tête une pierre charriée par les flots.

On trouve également des vidéos en Japonais pour enseigner la méthode. Même la clinique ‘Kobe Rokkodo Osteopathic Institute Acupuncture and Moxibustion Institute Hanpo-do’ recommande l’utilisation de la méthode des trois pouls pour détecter les signes de danger.

Il nous est bien précisé que la méthode provient ‘des médecins chinois’ et que, bien qu’elle n’ait pas vraiment de fondement scientifique,  ce ne serait pas étonnant que les humains aient, comme les animaux, la capacité de sentir arriver les dangers. On peut aussi la voir comme une façon d’amener des informations du subconscient au conscient.

On l’utilise dans deux cas précis :

  • Soit plusieurs personnes dans le même espace l’utilisent et une seule n’est pas alignée, dans ce cas, elle a des signes de maladie.

  • Mais si d’autres personnes autour de nous ont également des signes de désordre, on peut penser à un accident majeur ou à une catastrophe naturelle impliquant plusieurs personnes se trouvant à cet endroit.


Dans tous les cas : fuyons.

Comment pratiquer ?


La pratique est extrêmement simple.

(crédit photo : site du kobe rokkodo osteopathic institute)




On prend  le pouls radial sur le poignet gauche si on est un homme et sur le poignet droit si on est une femme (yinyang, logique), en utilisant le pouce de l’autre main.

En tenant ce pouls, on place le pouce et le majeur de la main sur la carotide dite ‘primitive’, qui passe à gauche et à droite du cou.

Soit :

  • le pouls des deux carotides et du poignet est synchrone, tout va bien, pas de danger. 

  • les pouls sont désynchronisés, un grave péril est prévisible dans les 24 heures.
Il faut alors changer les activités prévues dans le futur immédiat (par exemple partir en voiture plutôt qu’en train, changer son vol, etc.) et reprendre les pouls.

Il faut procéder ainsi jusqu’à ce qu’ils redeviennent synchrones.

Après, on trouve des raffinements :

  • les trois pouls sont désynchronisés : grand danger
  • seul le poignet est hors phase : problèmes relationnels (procès, dispute…)
  • la carotide gauche est hors phase : problème d’argent (vol, fraude…)
  • la carotide droite est hors phase : vitalité affaiblie, maladie aigüe…

M. Ichibay a poussé la bonté sur son blog jusqu’à démontrer clairement comment faire.



Pertinence et intérêt par rapport au Shiatsu


On entend d’ici ricaner ceux qui se piquent d’approche scientifique, prompts à qualifier de superstition ridicule ce genre de pratique. Ce serait adopter une approche mentale qui crée des catégories qui, en fait, n’ont pas lieu d’être. Toute la médecine (orientale et occidentale) est, qu’on le veuille ou non, le fruit de recherches empiriques, vérifiées et structurées par l’expérience répétée au long des siècles.

On pourrait aussi le prendre à la japonaise, comme le fait M. Ichibay, disant qu’on ne sait pas si ça marche, mais vu que c’est gratuit, ça ne coûte rien d’essayer. On retrouve là la curiosité et l’ouverture des Japonais, toujours prêts à examiner quelque chose et, le cas échéant, à l’améliorer. Ce que, pratiquant un art Japonais, nous devrions également être toujours disposés à faire, en étant inclusifs dans notre pratique.
 
Personnellement, j’accorde de l’intérêt à ces choses que l’on se passe ainsi dans toutes les traditions depuis des générations. Même si, évidemment, je ne vais pas me prendre les sammyaku tous les matins, ce qui laisserait soupçonner un possible déséquilibre psychologique.

Mais, surtout, le fait de prendre les pouls sur des points bien précis incite à voir si on ne peut pas en tirer des enseignements pour notre pratique du shiatsu ou notre réflexion.




Origine historique des sammyaku


Dans la nébuleuse historique qui entoure toutes ces pratiques orientales, je trouve une référence qui situe l’origine des sammyaku dans la partie médicale du Qi Men Dun Jia.  Le mot (chinois) existe curieusement tel quel dans le dictionnaire japonais et se compose de 4 kanji

étrange (c’est le même que pour les méridiens merveilleux, donc comprenons ‘hors parcours habituel)
porte
fuir
armure, carapace

Donc ‘armure pour fuir par l’étrange porte’ ou une porte inhabituelle.

On apprend ensuite que le Qi Men Dun Jia est un art divinatoire Chinois, toujours usité de nos jours  pour divers cas de divination (affaires, mariage, fortune, Feng Shui, voyages, etc.). De nature plutôt stratégique à la base, il permettait de remporter des combats. Il est basé sur les éternels archétypes de l’esprit chinois : Yinyang, 5 éléments et des carrés magiques de 3 x 3. Certaines pratiques travaillent sur les Shen (‘esprits célestes) tandis que d’autres, plus ésotériques, utilisent les talismans, incantations et démons. Arts du Ciel et de la Terre, donc, tout ceci est bien reconnaissable.


De nos jours, et en Occident, des consultants européens (l’institut Marip, par exemple) l’utilisent pour conseiller des chefs d’entreprise. Voyez ici un site bien explicatif concernant le Qi Men Dun Jia.

Comme le précise le site de Marip,  divination ne veut pas dire croyances et magie, mais c’est un modèle opérationnel, tentant de décrypter et donc d’anticiper les mouvements de l’Univers. Le Yi Jing constitue un autre outil en ce sens. Et la tradition chinoise en propose bien d’autres encore.

Nous voyons donc deux versants à l’utilisation de toutes ces pratiques dites divinatoires:

  1. L’approche ‘Ciel’ : énergétique, une utilisation abstraite, tentant de comprendre et d’anticiper les mouvements de l’Univers, et savoir comment nous aligner.
    Ce que nous pourrions traduire en shiatsu par la pratique du Ki Do Ma : la bonne action (Ki) avec la bonne intensité (Do) et dans le bon intervalle (Ma).
    La fonction rituelle de l’Empereur, en quelque sorte.

  2. L’approche ‘Terre’ : une utilisation matérielle dans le quotidien de la vie individuelle : savoir ce qui va se passer demain, si on va mourir ou non, comment se concilier les puissances extérieures, etc.
    En shiatsu, on pourrait traduire cela par si je pousse sur tel point, tel effet va s’ensuivre. Les manuels en sont pleins.
    Notre vie d’homme ordinaire, quoi.

On peut aussi utiliser le Yi Jing de deux façons. Ce serait en Occident, par analogie, la différence de regard entre l’astrologie et l’horoscope, ou l’utilisation que l’on peut faire du tarot.

Il n’y a pas de choix ou de jugement à émettre concernant l’utilisation qu’on en fait. L’Homme, entre Ciel et Terre, a pour privilège de pouvoir observer le Ciel et de prendre soin de la Terre. Tout dépend de vers où on regarde.

Conernant les sammyaku, l’approche ‘Terre’ est évidente. Vais-je mourir demain ? Voyons si une approche ‘Ciel’ est possible, et pour cela, il faut aller voir les points.

3 points et un triangle


Le point de poignet est sur le Poumon et on pourrait hésiter entre P8 et P9, sauf que P9 se situe ‘dans un creux en dehors de l’artère radiale ».

Ce serait donc plutôt P8, Keikyo, en Chinois Jing Qu, traduit habituellement par gouttière du vaisseau et situé précisément ‘dans la dépression sur le côté latéral de l’artère radiale’.

Le kanji est particulièrement intéressant :

KEI
est le même que dans Keiraku (méridien) et indique donc : la chaîne d’un tissu, une route Nord-Sud, un méridien, une longitude, les vaisseaux d’un corps (artères, veines, nerfs…), le pouls et les classiques ou même les sutra. On voit l’idée de trame verticale.

渠 KYO associe une équerre en bois et l’eau : un lieu où les eaux se rassemblent, un canal, un fossé Philippe Laurent nous dit que keikyo désigne donc un lieu : la gouttière radiale, où on palpe le pouls. Après un détour sur P7, le méridien reprend son alignement sur l’artère radiale. Pour toute indication thérapeutique, on nous dit que ce point ‘régularise l’énergie du poumon’.

Les points du cou sont sur les artères carotides gauche et droite. Nous sommes ici sur ES9, sur le bord antérieur du SCM, ‘où on sent battre la carotide’.

Le nom Chinois est Ren ying, le nom Japonais Jingei  et Philippe Laurent analyse les idéogrammes comme suit :

 Humain
 Heurter, aller à la rencontre.

Littéralement ‘rencontres humaines’, en Chinois médical ‘carotides’.

C’est un point mer du Qi et Fenêtre du Ciel, il équilibre le sang et l’énergie.

Si on reste sur l’étymologie basique de ces points, nous sommes donc en train d’examiner comment sont les sammyaku (les trois circulations) sur des endroits du corps qui nous parlent d’énergie qui doit reprendre son cours normal et de ce qui peut venir à la rencontre de l’Homme ou le heurter.

Si on regarde les fonctions des points P8 et ES9, nous trouvons 'régulariser l'énergie du poumon' et équilibrer le Sang et l'énergie.

Si on regarde ensuite quelques fonctions des organes/entrailles sur les méridiens desquels se situent ces points précis, nous trouvons :

  • Le Poumon gouverne le Ki, le fait descendre et le diffuse à chaque organe et chaque tissu. Par la respiration, il gère également l’interaction entre l’extérieur et l’intérieur, et intervient à plusieurs moments  dans  la complexe interaction des différents types de Ki.

  • L’Estomac est le réceptacle des liquides et des graines, il réceptionne et décompose les aliments.  L’énergie de l’Estomac est le fondement de l’homme. Quand le Qi de l’ES est présent, c’est la vigueur, la vie et la santé des 5 organes.

Selon le docteur Manola Souvanlasy Abhay (in ‘La médecine énergétique chinoise’), la qualité du Qi de l’ES est un facteur de pronostic de vie ou de mort dans des maladies graves. Source de la nutrition. L’état du Qi de l’ES se reflète dans le pouls qui doit être harmonieux, calme, vigoureux, ni rapide, ni lent.


En posant les doigts en connexion sur P8 et ES9, nous interrogeons donc les deux aspects de l’énergie acquise (respiration et nourriture) et les mettons en relation :

  • Nourriture immatérielle et matérielle, indispensables à la vie

  • Ki Ketsu, qualité du Ki  et du Sang

  • Ciel / Terre

On peut comprendre que s’il y a perturbation sur la circulation ou la qualité de l’énergie acquise, il risque d’y avoir un problème. Le plus étonnant, c’est qu’on nous dise que les problèmes vont venir d’événements extérieurs. Constatant un déséquilibre sur trois points, nous aurions en effet tendance à maintenir la connexion pour tenter de régulariser. Mais ici, le diagnostic est bon ou mauvais et la correction à effectuer est dans l’interaction avec le monde extérieur et sur l’endroit où va se situer, ou non, le corps.

C’est étrange, ou non… selon ce qu’on veut considérer. N’y aurait-il pas ici une réflexion à mener sur le plan de l’énergie innée ?


Connaître ou modifier notre destin ?


Car un petit commentaire innocent trouvé au sujet des sammyaku me met sur une autre piste bien intéressante. ‘S’il y a danger de mort dans les 24h, le sens de l’existence (the sense of existence) détectera le danger et dérangera le pouls afin que la personne en prenne conscience’.  

Si on parle de ‘sentiment d’exister’, on appellerait cela le pressentiment. Auquel cas, les sammyaku sont une méthode qui objective un pressentiment, selon le principe que, si l’esprit peut être aveugle, le corps, lui, ne ment jamais.

Mais si on parle de ‘sens de l’existence’, ou encore de ‘destinée’, la question est de savoir si on peut connaître son destin. Car l’énergie vitale innée est disponible pour son temps de vie terrestre. Pouvons-nous seulement subir ou modifier le destin ?  

Il existe un grand point qui nous parle de cela, VG 4, Meimon, Porte de la destinée

Mais attention aux concepts de nouveau. Rien à voir avec le fatum latin ou l’
Ἀνάγκη grecque (anankê) où tout est écrit d’avance.

Le kanji utilisé ici est ‘inochi’ (le même qui apparaît dans le célèbre slogan de M. Namikoshi –‘inochi no izumi waku’). Inochi concerne à la fois la vie vue dans sa finalité et l’existence humaine. Quand on choisit de dire Inochi, on entend bien plus que l’espace entre la naissance et la mort d’un individu, mais plutôt l’énergie vitale, non-manifestée puis manifestée, ou, si vous préférez : Ciel Antérieur et Postérieur. La Vie, le flux qui nous traverse, quoi.


Meimon est le point où surgit Inochi
. Selon Elisabeth Rochat de la Vallée ( in ‘101 notions-clés de la Médecine Chinoise’), la destinée est donc la force vitale, le sort individuel, la durée de vie allouée à chacun, en même temps qu’elle est vie personnelle à mener, destin à accomplir. Le passage par une porte fait entrer dans la vie. 

La porte de la destinée est le lieu où commence une vie personnelle, là où le dessein du Ciel rencontre la possibilité terrestre de prendre corps, où Yin et Yang se croisent, essences et souffles commencent à se compénétrer, le champ de cinabre, les reins.

Il existe donc à tout moment la possibilité que ce destin s’interrompe, par accident ou parce que c’est la fin de la Vie et la question est de savoir si nous pouvons y faire quelque chose.

 Cette question n’est absolument pas tranchée, tant il y a deux écoles. Il en fut de même chez les Chinois et il y a eu des changements dans l’approche philosophique de la culture médicale taoïste.

Avant l’époque Song (960 -1279), on se base sur la conviction que la vie est prédéterminée. La pratique alchimique ne peut rien modifier, il s’agit de découvrir et de réaliser son propre parcours. C’est l’harmonisation au mouvement qui va du Jing au Shen, la réalisation de l’essence. Laisser s’accomplir le grand Shen.

A partir de la dynastie Song, l’idée se développe que ce qui est établi peut être modifié, le destin peut être changé grâce à l’approche médicale, l’énergie et l’esprit peuvent provoquer une transformation de l’essence. Le mouvement n’est plus seulement ascendant, on peut travailler à double sens.


Et c’est alors que ‘l’on voit apparaître, notamment, l’introduction parmi les stratégies thérapeutiques des méridiens curieux, par l’intermédiaire desquels on peut agir au niveau des énergies constitutionnelles : Jing et Gen’. (In Emilio Simongini & Leda Bultrini  ‘le psychisme dans la médecine Chinoise’). Mais voilà encore une belle et compliquée histoire.

La pratique des sammyaku n’entre absolument pas dans ce cadre.

Mais, sachant tout ce qui précède, en certaines occasions, je me vois bien faire les sammyaku. Un check point de plus pour voir si Ki mochi ga ii : l’état du ki est bon.

Et vous ?

Voilà où, partis de trois petits points, nous pouvons arriver. Ne pratiquons-nous pas un art merveilleux ?


Retour à l'abstract pour réordonner les pensées.