Saturday, 23 May 2020

Shiatsushi par temps de COVID


Ce que Corona m'a appris


Quelle pagaille, ces deux derniers mois, quel déchaînement d’énergies contraires, et quelles leçons aussi à en tirer…

Je n’ai aucun commentaire à donner ici sur la gestion de la crise par les politiques, la pertinence des avis officiels et scientifiques, les dangers potentiels de la situation pour nos libertés, les craintes et les espoirs pour l’avenir… 
Ce genre de communication a déjà eu lieu ‘ad nauseam’.

Par contre, si je regarde du point de vue de notre métier, le shiatsu, je peux me permettre deux trois réflexions.

Une crise est une opportunité d’avancer, elle permet de révéler crûment certaines réalités, de questionner nos activités….

La conclusion est, d’emblée : que faisais-je avant la crise ? Du shiatsu ! 

Que ferai-je après ? Du shiatsu ! 

Plus que jamais. Et aussi, autrement que jamais, sur les plans de la conviction, de la puissance et du lâcher, de la lucidité et de la joie.


Les choses qui ne passent pas


Il y a quand même eu des attitudes ou des réactions qui me restent en travers de la gorge.

Ainsi fus-je choqué par la rapidité déconcertante avec laquelle quelques instances censées représenter notre profession (dans plusieurs pays), des écoles, voire des praticiens à titre individuel sont rentrés sous terre en se déclarant publiquement, dès le début du confinement, ‘activité non-essentielle’.  

Evidemment que le shiatsu n’a pas de solution en phase de contagion et qu’il faut laisser faire les médecins. Evidemment que, au même titre que bien d’autres activités, le shiatsu ne rentre pas dans la liste des activités essentielles établies par les gouvernements en période de confinement. Mais se déclarer non-essentiel manque pour le moins de nuances. C’est oublier tous les moments où nous le sommes, essentiels, en amont, quand ce n’est pas la crise. Ce n’est pas deux mois de crise qui vont occulter des années de travail de prévention.

La prévention est au cœur de notre métier, et la prévention est essentielle. Notre rôle premier est d’aider le corps à cultiver ses facultés d’auto-guérison, en rééquilibrant l’énergie (et en cas de problème, on va bien entendu tenter de l’éliminer). On fait du shiatsu, et, normalement, on ne tombe plus (ou moins souvent) malade. 

Parlant de la presse grand public, j’ai peut-être vu deux articles insistant sur la nécessité de la prévention et d’entretenir une bonne immunité. Parlant de la gestion de la crise, nos pays n’ont pas appliqué de traitement médical préventif massif, les instances officielles continuent donc à attendre la dégradation des conditions de santé avant d’agir. D’autres pays ont fait un autre choix, et nous verrons plus tard qui a eu raison. 

Mais, en tous temps et en tous lieux, nous nous situons sur un terrain où il n’y a, visiblement, pas encore grand monde. Il aurait donc mieux valu rappeler cette règle d’or. Par ‘essentiel’, je comprends également l’essence et le sens de notre métier et si ce métier n’est pas essentiel, il vaut mieux faire autre chose.

Même en temps de crise et de contagion, d’ailleurs, nous n’aurions jamais dû arrêter de travailler. Trop tard pour l’immunité, sans doute, car c’est un travail de fond.  Mais ne serait-ce que pour alléger les effets pernicieux de la scandaleuse communication anxiogène propagée à tous niveaux. Je renvoie au tout premier texte publié par Jean Pelissier sur les effets de la peur. Nous le savons bien, que la peur fait baisser l’immunité, car elle impacte l’énergie des Reins. Au sortir de l’hiver, en plus, si les Reins n’ont pas été correctement nourris, le moment est particulièrement défavorable. Nous avons beaucoup de réponses en la matière. Il eût été bon de nous positionner comme les gens qui, de par la nature de leur métier et de leur énergie, ne cèdent pas à la peur. 

Le KI sort par tous les temps.

Nous aurions également pu être appelés en renfort pour détendre, aider, accompagner, renforcer, soutenir, apaiser les personnes obligées de continuer à travailler dans des conditions difficiles ou dans un climat anxiogène. Ou les personnes souffrant d’un confinement éprouvant. Ce fut le cas en France, ai-je vu, où les hôpitaux généralement partenaires de l’EST de Bernard Bouheret ont fait appel aux shiatsushi pour leur personnel soignant.

Cela me semble meilleur que 5 minutes d’applaudissement pour nos ‘héros’ (toujours cette déplacée rhétorique de guerre…). Poser les mains sur des corps, plutôt que battre des mains dans le vide… Non ? Qu'est-ce qui aide le mieux ? Et ç’aurait été l’occasion de montrer à notre Ministre Maggy De Block, prête à réquisitionner n’importe qui capable de mettre un thermomètre, qu’on peut aussi vraiment aider les professionnels de terrain, sans investissement particulier.

En tant que praticiens, nous ne pouvons nous-mêmes avoir peur. Comme le dit un de mes estimés professeurs à propos de la captation d’énergies mauvaises chez les receveurs, ‘si tu as peur, change de métier’.

A tout qui me dirait ici ‘pourquoi n’as-tu pas agi’, je répondrais que ce genre d’initiatives impliquant la représentativité et la crédibilité de toute une profession ne m’appartient pas, et que je me serais sans doute fait jeter en allant proposer mes services de façon impréparée. Ce genre d’approche ne peut être le fait d’un individu non mandaté, et doit obtenir au moins le consensus d’une partie des praticiens. Il ne s’agit pas d’une critique facile, mais d’un constat quelque peu décevant. Un échec est toutefois un moment d’apprentissage.

Leçon de crise : un gros travail de reconnaissance et de valorisation du métier va devoir être fait, par des gens qui pratiquent réellement, ont une vision claire et défendent l’intérêt, la spécificité et l’utilité du shiatsu, quel qu’en soit le style.

Le rapport à la médecine


Un deuxième enseignement de la crise est notre rapport à la médecine, allopathique ou autre.

La relation souvent ambigüe entre les thérapies dites ‘alternatives’ et la médecine dite ‘officielle’ n’a pas lieu d’être. 

Jusqu’ici, nous connaissons tous des médecins qui ne veulent pas savoir ce que nous faisons ou y sont opposés. D’autres médecins tolèrent et conseillent à leurs patients tout ce qui peut leur faire du bien, même s’ils ne connaissent pas bien. D’autres encore s’intéressent vraiment à nos activités et voient dans le shiatsu (ou d’autres pratiques) un réel soutien à leurs prescriptions.

Ces différents types d’approche sont apparus au grand jour en temps de COVID. On a pu voir des médecins dogmatiques tenant une position officielle et qui préféreraient se faire brûler plutôt que d’en changer, contre vents et marées. On en a vu d’autres travaillant empiriquement, fidèles au serment d’Hippocrate et qui diagnostiquent, puis essaient un traitement et consolident ensuite les résultats pour arriver à un protocole. On en a vu tenter d’enrayer le développement des symptômes et d’autres attendre pour déployer la grosse artillerie. On en a vu parader sur les plateaux de télé pour déverser des avis devenus contradictoires avec le temps. On a surtout vu le dénuement face auquel ont été laissés les généralistes de terrain travailler en silence dans des conditions difficiles, voire dangereuses. Ceux qui, comme nous, se retrouvent face à la souffrance et doivent décider de faire quelque chose. Parfois sans savoir vraiment quoi.


Je me sens frère des médecins honnêtes qui disent ‘je ne sais pas’, mais agissent et tentent ce qu’ils ont de mieux. Qui travaillent empiriquement, car toute science s'est établie ainsi sur une longue période, n'en déplaise aux enfants obscurs des dites 'Lumières'. Là sont les racines de la médecine et du soin, et le shiatsu, même non-médical, procède de la même façon. En mettant la prévention en amont.

Il est encore trop tôt pour savoir qui a eu raison…  Même si on a pu prendre la mesure de tous les avis contradictoires, des poids et des choix idéologiques… Dans peu de temps, on pourra dire, pour peu que l’on veuille bien considérer les mêmes choses, quelle approche aura été la meilleure et quel traitement aura été efficace…  

La crise actuelle est pour moi un appel à serrer les rangs, à nous reconnaître et à collaborer chacun dans notre spécialité. Médecins ou autres thérapeutes : ils /elles sont les bienvenu(e)s. 

Comme le dit Itsuo Tsuda (in ‘le non-faire’) : ‘il faut cesser d’appliquer les postulats physico-chimiques à l’homme. C’est ne pas tenir compte de la sensibilité et de l’affectivité propres à chacun’. L’humain ne rentre pas dans les statistiques, ni dans le principe de cause à effet.

Notre vocation commune : prendre soin de l’Etre, en donnant des soins, à tous niveaux.

La nécessité des non-spécialistes


On a entendu aussi beaucoup ricaner sur les non-experts en quelque chose qui se sont permis d’émettre un avis. En même temps, on a assisté à un foisonnement inédit d’avis ou de points de vue en tous genres sur la situation.

Il s’agit ici de trier l’ivraie du bon grain. Comme Brassens, je pense que ‘le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con’. Je pense aussi que le diplôme n’est aucunement signe d’intelligence ou de compétence et que l’intelligence consiste en la capacité à relier entre elles des choses très différentes. L’antique pensée analogique de l’Orient : telle situation me fait penser à d’autres choses et je fais des liens qui vont aider à la compréhension et à l’action.

Il faut surtout arrêter d’infantiliser les gens et leur permettre plutôt d’exprimer leur potentiel et de laisser s’exprimer leur bon sens. Des points de vue intéressants surgissent souvent d’angles inattendus. Un conseil scientifique composé de gens du même tonneau ne reflète pas la diversité de la société et ne laisse pas place à la surprise créative qui pourrait nous sortir plus vite d’une situation, parce que, justement, personne n’y a pensé. Ce n’est pas un reproche. Comme le dit Eric Baret : ils ne peuvent pas faire autrement.

Notre époque a de plus en plus besoin de bons généralistes (en médecine ou ailleurs), c’est-à-dire de gens capables de raisonner clairement, de faire des liens et d’accompagner n’importe quelle situation. Garder la vue globale. Le risque du spécialiste dans sa tour d’ivoire, c’est qu’il ne voie pas plus loin que les murs de sa tour d’ivoire.

Ainsi nous dit Tsuda : ‘Malheureusement, dit Noguchi, il y a des spécialistes des microbes, mais pas de spécialistes du corps. C’est la cause de l’erreur qui nous fait adapter une position inverse’ (à ce qu’il faudrait faire, càd que nous focalisons sur le mal et pas ‘les parties inertes’). Par le mot ‘corps’, il faut entendre ‘terrain’.

En étant de bons généralistes, en considérant la globalité, nous devenons en quelque sorte des… spécialistes de terrain. Mais oui, nous avons un avis sur beaucoup de choses car, proches des gens, nous en entendons beaucoup. Nous voyons l’humain dans son rapport à la nature. Le shiatsu, et ses praticiens, ont légitimement un avis – des avis sur la situation.

Un virus à contretemps, énergétiquement


Pour rester dans notre pré carré, par contre, énergétiquement, le monde se conduit bizarrement. Le cycle immuable de Fu Xi serait-il ébranlé ? Le cycle du Roi Wen a-t-il les moyens de contrarier les lois éternelles de l’Univers ?  Un collègue me faisait remarquer qu’après ne pas avoir eu d’hiver, nous avions eu un printemps contrarié. De fait, ce virus aurait dû surgir en hiver, période idéale pour un retour sur soi et chez soi (et pour la destruction de l’économie, en période de fêtes, si tel est bien un des buts poursuivis) et pour le nourrissement de l’énergie des Reins.

Chaque année, je conseille l’intériorité propre à l’hiver, irréalisable pour beaucoup. Zut, opportunité ratée. Car, ce qui s’est passé, c’est que l’énergie du printemps qui est expansion s’est vue du coup totalement contrariée, brimée, empêchée par le confinement. A l’heure de sortir de notre ‘kot’, nous avons dû y rentrer. On a mis le couvercle sur la marmite à pression. Il en résulte frustrations, colère, stagnations… et quels seront les effets, énergétiquement ?  Il va falloir gérer et il y aura du travail. 

Allons-nous pouvoir rattraper ces trois mois en été ? Certainement pas. Les personnes avec une immunité faible au sortir de l’hiver et avec le couvercle sur la marmite à pression au printemps n’auront pas l’énergie pour tout faire en été. Comme c’est inédit, je ne connais pas les conséquences, nous devrons être attentifs.

Quel monde meilleur ?


Mais non. J’ai lu beaucoup de commentaires utopiques, disant que cette fois, les gens allaient comprendre la nécessité de changer et de respecter la planète. C’est beau, les utopies. On a besoin de rêver. Mais c’était prévisible. Les personnes en chemin ont fait du chemin. Les autres, non (Brassens, toujours…). Je crains qu’il ne faille abandonner l’espoir d’une transformation majeure, immédiate, de la société.

Si le confinement améliorait les gens, les monastères du monde entier, toutes religions confondues, seraient remplis de saints. Ils ne le sont pas.

Le meilleur commentaire que j’aie lu en la matière est dû à Valérie Bugault (in ‘Géopolitique du Coronavirus’, revue Strategika du 1er avril 2020) : ‘ A cela s’ajoute un autre phénomène d’émiettement et d’isolement des populations : les milieux médicaux fréquentent peu ou pas d’autres milieux, chacun restant dans son pré carré par l’organisation même de la société. Ainsi, les constats et la vie que mènent les uns sont quasi hermétiques aux constats et à la vie que mènent les autres, leurs seuls points de contact étant leur façon (directe ou indirecte) de consommer’.

Mais c’est bien sûr. Il n’y a plus de valeurs, de vision, de projets communs à cette société. Chacun vit dans son monde ou sa vision du monde, tout cela coexiste et, en fait, ne se comprend pas et ne se parle pas. On se retrouve uniquement dans la consommation, la société est devenue le ‘grand marché’ appelé de tous ses vœux par l’Europe.

Un modèle, ici, serait le Japon, pays où coexistent les visions les plus archaïques et les plus modernes du monde… dans la tolérance mutuelle et le goût du paradoxe. En Occident, on verrait plutôt les choses comme une lutte et une tentative d’imposer son point de vue.

Valérie Bugault nous donne donc un clair avertissement : ‘Nous sommes collectivement sur une ligne de crête et les choses peuvent basculer, en fonction de la capacité de réaction des citoyens, soit dans le sens du globalisme intégral avec gouvernement mondial, soit dans celui d’une reprise en main politique des pays par leurs ressortissants’.

Pour nous, le changement ne se situe pas dans le débat d’idées, mais dans le ressenti de ce qui est juste. Notre accompagnement sur le chemin de nos receveurs est aussi celui-là : les amener dans le ressenti de ce qui est juste, dans la connexion à l’Univers, dans l’interrelation, sans influencer (laissons cela aux gourous). Un jour, le toucher touche au plus profond. Le regard s’embue… le Cœur fera le reste.

Tsuda nous dit : ‘la pollution qu’apporte la civilisation n’est pas seulement de nature chimique ou physique. Il faut y inclure la pollution verbale et intellectuelle’. Nul besoin de polluer nous-mêmes, d’argumenter ou de convaincre, plutôt laisser advenir le meilleur en chacun.

L’urgence de l’instant


A nous qui prônons trop facilement l’instant présent, sans y être souvent (facile à dire, mais comment on fait ?), la situation est au moins venue rappeler l’urgence de l’instant.

Un texte écrit récemment à la demande d’Ivan Bel sur la mort et le shiatsu (à lire ici) est venu me rappeler cette urgence de l’instant, à tout moment.

Vis chaque jour comme si c’était le dernier jour de ta vie. Donne chaque shiatsu comme si c’était le seul que tu vas donner, et donc il faut tout donner, chaque fois. Qui sait si le prochain rendez-vous pourra être honoré ? Et quand ?

C’est un bel enseignement dans l’intensité du travail.  

Le travail sur soi pour aider les autres


Finalement, la seule chose à faire en toutes périodes pour nous, c’est de travailler sur nous-mêmes. Le bonheur du confinement a été de pouvoir le faire plus longtemps. Mettre en place ce que nous préconisons : prendre soin de soi, pour prendre soin des autres.

Ce travail sur soi nous permettra d’être ancrés, et d’être des phares dans l’incertitude ambiante, pour ceux qui voudront…

Le monde a besoin de nous… Je crois que nous avons tous été en contact avec des receveurs pendant le confinement. Pour simplement garder le lien, s’enquérir du bien-être, parler, briser le silence…

C’est très bien. Le shiatsu ne s’arrête pas à la fin de la séance, il est pour moi un accompagnement sur le chemin de vie. Jusqu’au bout.

Hymne à la joie



Et pour finir, quand tout est en place, quand on est bien aligné, on revient toujours à la joie, qui surgit inévitablement.

Eteignons la télé et les réseaux… On n’y voit que des peine à jouir discutaillant sans fin ou nous menaçant d’une litanie de catastrophes. Pas un qui sourit. Pas un qui fait une blague pour détendre l’atmosphère. Pas un pour considérer le bon côté des choses, qui existe toujours. Le premier qui rit aura une tapette. Mais même dans les lieux où on nous impose de mettre un masque, on n’est pas obligé de cacher nos sentiments et de tirer la tête. 

Dans cette sinistrose malsaine, distribuons des sourires et des rires, et affichons-nous sur les réseaux et dans la vraie vie comme ‘Gens Sans Peur’, gens joyeux et heureux, ce que notre pratique devrait induire. Le Shen qui rayonne est contagieux et témoigne de l’art précieux qui nous anime. 

Et voici que maintenant, notre bel art du shiatsu repasse du côté de la manifestation… Travaillons, travaillons...