Ce blog sur le shiatsu vous propose de découvrir les multiples facettes du shiatsu. Le cabinet de shiatsu, installé dans le quartier Schuman à Bruxelles, vous permet de ressentir ses bienfaits sur votre santé.
Nuits
encadrant le 21 décembre… les nuits les plus longues de l’année. La lumière
semble absente.
Les Anciens ont mis en place toutes sortes de rituels pour accompagner ce
moment. Ils craignaient que le soleil ne revienne pas.
Faire du shiatsu, c’est aussi se relier à cette sagesse ancienne, pratiquer sur
soi-même, observer la nature et s’y conformer. A l’image de l’Empereur qui matérialisait en son
Palais les changements de saison par des rituels, des offrandes, des prières…
nous sommes nous aussi appelés à prendre cette place entre Ciel et Terre. Derniers maillons de la chaîne, nous perpétuons.
Chacun fera comme il voudra, mais je vous raconte le mien de ce 21 décembre.
Rituel de solstice
6h30 : la lune à son apogée est juste dans l’encadrement de la fenêtre de
ma salle de pratique. Elle a brillé toute la nuit. Nuit la plus noire, lune
brillante et claire. Voilà qui est de bonne augure, car l’année redémarre
aujourd’hui. L’énergie repart vers le haut.
Se souvenir que de l’autre côté de
la planère, ils commencent à redescendre. Yinyang, toujours.
Je m’installe dans la lumière de la lune. Ce matin, je n’allumerai aucune lampe
électrique. L’homme s’efface devant la grandeur du moment et ne doit pas
interférer. Méditation. Respiration. Contemplation.
Quand la lune quitte l’encadrement de la fenêtre, j’allume la bougie ronde,
rouge, brillante, prémice de l’été qui s’enclenche déjà. Rouge, Feu, Sud, droit
devant. Shin.
C’est le moment de chanter l’Inari norito, prière shinto au kami de la
prospérité. « Ashita ni yûbe ni isoshimi tsutomuru’ : jour et nuit je
m’attellerai à mes tâches avec diligence. Cela ne tombe jamais du Ciel.
Quelques sons de bol tibétain pour me rappeler que tout est vibration, que
rythme et musique me constituent. Un son, une opportunité de plus grand Eveil,
un retour de l’attention.
Shinto, puis Bouddhisme. Je chante le Hannya Shingyô, càd (correctement
traduit) le ‘Sutra de la Grande Perfection qui permet d’aller au-delà’. Beau
programme, le voyage commence, mais pas tout seul ‘gyate, gyate, hara gyate, hara
sô gyate, bôji sowaka’ : aller,
aller, aller au-delà, aller ensemble au-delà, illumination, ha !
Et puis, pratique : Do In rituel, qui intègre 14 méridiens,
8 directions, 5 éléments, 5 saisons, Ciel Postérieur grâce à un parcours rituel
sur le tapis.
Ecouter un peu de musique : dans la tradition catholique ancienne, le 21
décembre, on chante une antienne très particulière. Les 7 antiennes de l’Avent
commencent toutes par ‘O’, signe de révérence, de respect et d’émerveillement.
Celle du solstice ne fait de plus aucune référence à la tradition chrétienne :
‘O Oriens, splendor lucis aeternae et sol justitiae, veni et illumina sedentes
in tenebris et umbra mortis’. O Orient,
splendeur de la lumière éternelle et soleil de justice, viens et illumine ceux
qui sont assis dans les ténèbres et sous l’ombre de la mort’.
On commence aujourd’hui. Pratiquer une
discipline orientale, c’est aussi tenter d’amener un peu de cette lumière dans
la vie, celle des autres et la nôtre.
Ecoutez l’antienne comme moi, suivie d’un commentaire pour orgue, comme il se
doit. Des accords sombres, percés de petits rayons de lumière, accord ouvert
sur la fin. Ouverture, et qui reste.
Il est temps de (petit-)déjeuner. Un de mes pommiers porte de belles pommes jusqu’en
hiver. Il a légèrement gelé, la pelure de la pomme est délicatement givrée.
Toute la force du printemps, de l’été et de l’automne dans ce fruit, amenées
ainsi jusqu’au solstice. Le cycle redémarre.
Gratitude. Etre humain, c’est avoir la capacité de ressentir tout cela.
Le
shiatsu est un art Japonais. En Europe, ce sont essentiellement des Européens
qui le pratiquent. Alors, authentique notre shiatsu ? Comme au Japon, ou
pas du tout ? Quels critères utiliser ?
J’étais ravi de lire une interview récente d’une collègue japonaise établie à
Reims, Mme Hiroko Mizuguchi, qui évoque la légèreté comme une caractéristique
japonaise. Voilà qui résonne bien, et nous parle de ‘kokoro’ : état d’esprit,
ressenti profond.
Il y a comme un complexe face aux Japonais
Dans un article sur la légèreté, je ne vais pas m’appesantir, mais
généralement, on ne place pas le débat sur ce plan-là, quand on réfléchit aux
possibles différences ou ressemblances entre le Japon et l’Occident. En
Occident, nous avons hérité du shiatsu, arrivé ici comme tant d’autres
pratiques japonaises, dans la seconde moitié du 20ème siècle. Les
premiers enseignants étaient tous des Japonais et puis, de génération en
génération, les élèves occidentaux ont pris le relais.Et donc on est en droit de se demander si on
s’est éloigné des origines. On sent même comme un petit complexe par rapport au
Japon. Mais comme il n’y a pas grand monde qui aille vérifier ou, tout
simplement, qui soit capable de communiqueren Japonais, tout cela reste flou.
On va ainsi tenter de se comparer au nombre d’heures (nettement supérieur au
Japon), au style de formation, à la reconnaissance officielle du shiatsu là-bas
(certaines écoles, en fait). On va dire que les Japonais aiment les fortes
pressions à la limite de l’insupportable et que nous, on ne peut pas travailler
comme cela (alors que ce n’est qu’un style, loin d’être la norme)…
Disons que tout cela ne concerne que les formes extérieures du shiatsu et que
l’on navigue ici entre quelques écueils : fausses perceptions, projections
(‘l’Orient rêvé des Occidentaux’), légendes, méconnaissance voire réécriture de
l’histoire, traductions erronées, inaccessibilité des sources, éloignement du
pays-mère… Connaissances partielles et positions partiales, donc. A nous
d’extraire de leur gangue les pépites authentiques.
Pour couper court à ce genre de discussions, je rejoins volontiers M. Masunaga
qui désamorce le débat dans ‘Shiatsu et médecine orientale’ (p 111) en disant que,
s’il faut évidemment des principes de pratique, on ne peut pas perdre sa
personnalité en figeant la forme de sa thérapeutique. Et de dire qu’en Shiatsu,
c’est ‘un thérapeute, une école’. Faisons, dès lors, comme nous le sentons.
Légèreté et gaieté chez les praticiens Japonais
Comment, dès lors, nous rapprocher du Japon dans notre pratique ? Si donc
on place la personnalité et les données culturelles à la source de la pratique
du shiatsu, on peut effectivement se demander ce qui caractériserait un(e)
praticien(ne) japonais(e).C’est là
qu’il faut lire (sur le site de Shiatsu France) cette belle interview de MmeHiroko Mizuguchi, praticienne installée à Reims.
A
la question ‘Voyez-vous des différences culturelles dans la pratique du shiatsu
entre les deux pays ?’, elle répond prudemment qu’elle n’a pas encore reçu
beaucoup de séances en France pour émettre une opinion, mais nous parle du Japon :
‘J’ai
l’impression que les shiatsushis au Japon ont l'air plus détendus et plus
légers. Les shiatsushis que j’ai rencontrés au Japon sont très à l’écoute et
sont attentifs aux résultats de la séance. Ils ont aussi de la légèreté et de
la gaieté. A chaque séance, j’étais plus joyeuse après la séance avant
d’arriver au cabinet grâce à leur technique mais aussi à leur bonne humeur’.
A voir les discussions Shiatsu sur les forums, on pourrait effectivement penser
que le shiatsu n'est pas très drôle en Occident. Mais de mes études avec Maître
Kawada, je retiens absolument un bon sens de l’humour. Rares étaient les cours
où il ne riait pas, il adorait qu’on lui balance des vannes en tous genres et
appréciait le fait qu’on aime ‘rigoler’. Il aimait aussi raconter de bonnes
histoires, un caractère que l’on retrouve chez d’autres comme MM. Tsuda et
Ohashi, allant même parfois jusqu’à l’absurde. Regardez Tokujiro Namikoshi et
son sonore ‘HAHAHA’ qui clôturait son célèbre slogan ‘shiatsu no kokoro wa’.
On observe cela partout au Japon. Dès qu’on sort des villes, les gens sont
finalement curieux, assez familiers et on voit beaucoup de personnes âgées
discuter et prendre du plaisir ensemble de façon parfois démonstrative.
Oublions l’image d’un peuple coincé dans une impassibilité sociétale.
The Japanese Way
Me revient à l’esprit la
scène de Zatoichi, où Takeshi Kitano joue le rôle de ‘Anma san’ (‘Monsieur
Masseur’). On le voit donner un massage avec les pouces et les coudes à la dame
qui l’héberge, tout en discutant le plus naturellement du monde des bandes de
vauriens qui rançonnent les gens. Tout cela débouchera sur un carnage
épouvantable avec des jaillissements d’hémoglobine. Ce naturel, à l’écoute des
problèmes des gens, est précisément ce à quoi fait allusion Mme Mizuguchi.
Aussi décalé que puisse être Kitano, il est profondément Japonais et sait ce
que fait un praticien.
Quant à nous, nous ne deviendrons jamais Japonais (un autre mythe serait de le
croire), mais nous pratiquons un art Japonais. Il y a dans l’esprit japonais
tant de pratiques et de personnes inspirantes et nourrissantes. The Japanese
Way. 日本の道 ! Une manière d’être qui nous rapproche, au-delà des
possibles différences de pratique et de culture.
La manière d’être en cabinet
Voyons donc si nous sommes
capables d’être en adéquation avec la manière d’être japonaise qu’évoque Mme Mizuguchi.
Plus détendus
Nous sommes tous stressés à des
degrés divers, perméables plus ou moins au stress ambiant, mais voilà, il
faudrait que pas, ou peu au cabinet. Pratiquer l’ici et maintenant qu’on nous
remet à toutes les sauces. Détendu et disponible, donc. Comme dit Mme Yamamoto, être 'supérieur' à nos receveurs / receveuses, par quoi elle veut dire en meilleure santé générale.
Je donne souvent l’image du trop plein. Quand c’est plein, il n’y a pas de
place. Que ce soit pour accueillir de nouvelles choses, pour changer
d’orientation, pour faire un enfant. Et pour donner un shiatsu, donc.
Plus légers
Là, c’est
l’énergie du Cœur Empereur qui va rayonner dès que nous sommes plus ou moins
alignés et harmonisés. Bien centrés dans notre hara, le cœur ouvert et le
mental apaisé. Le triangle de M. Tsuda enfin sur sa base. Ce n’est pas un état
à rechercher, mais à laisser advenir.
Très à l’écoute
C’est
pareil. On écoute avec les oreilles et si la tête est pleine, rien ne rentre.
On écoute avec le cœur et si il chavire, on n’entend rien. On écoute avec les
mains, et si on n’est pas dans les mains, on passe à côté de ce qui se passe,
là. Créer de l'espace.
Attentifs aux résultats de la séance
Rester dans la position de
l’observateur qui voit le receveur, soi-même et l’interaction. S’adapter à tout
moment. Seule la présence totale entraîne l’absence (relative) du moi.
Et surtout : légèreté et
gaieté
Légèreté et gaieté. S’il y a la joie, il y a la gaieté qui est son expression.
Aussi grave ou dramatique que puisse être la séance, même si on a pleuré, après
la gaieté resurgit.
Inochi no izumi waku : la fontaine bouillonnante de la vie apparaît
soudainement, c’est une partie du slogan de M. Namikoshi. Lequel considérait
‘bien rire’ comme un des 5 critères de bonne santé.
Lors du dernier weekend de formation, on me faisait remarquer qu’on ne rit plus,
et quand on rit c’est toujours de quelqu’un, pour stigmatiser ce que l’on
trouve ridicule. On montre du doigt et on se moque. Pauvre sens de l’humour… Où
sont les grands, les Pierre Dac, Raymond Devos et autres qui racontaient des
histoires savoureuses et absurdes sans blesser personne ?
C’est cet humour joyeux qu’il nous incombe de réinventer en cabinet. Quand ça
me prend, je chante une petite chanson. Cela fait toujours sourire. Etre
praticien, c’est être bon public, rire des histoires qu’on nous raconte et bon
acteur, en raconter des drôles.
La leggerezza ! J’aime le mot en italien, car il sonne comme une caresse,
un effleurement. Pourquoi la légèreté de l’être serait-elle insoutenable ?
Rate en déséquilibre !
Contagiosité
Quand Mme Mizuguchi dit qu’elle se sent plus joyeuse après la séance, c’est la
photo d’avant et d’après. Regardez le visage de vos receveurs, ils ne sont
normalement pas le même avant et après. Alors, vous avez donné une bonne
séance.
Mais elle se sent aussi joyeuse à cause de la technique. Nous pouvons être
puissants, mais pas pesants. Cela nous ramène au rythme musical d’une séance et
finalement au Ki Do Ma : le bon geste – avec la bonne intensité – dans le
juste intervalle de temps.
Alors, pouvons-nous faire tout cela et nous rapprocher de ce qui se fait au Japon ? Assurément ! C'est l'essence même de notre art : qui nous sommes détermine ce que nous faisons.
Entre omoi et karui, moins lourds et plus légers
La langue japonaise nous
donne enfin à nouveau des éclairs de compréhension.
Le caractère japonais pour
lourd est 重, ce qui se dit omoi,
avec l’idée de choses empilées qui font que c’est lourd. Pour être moins lourd, il s’agit d’enlever des
couches.
Léger, c’est karui 軽 ce qui contient l’idée de
légèreté, offrir peu de résistance, se sentir léger et donc se déplacer
facilement (la racine du kanji est un véhicule 車), pas important et le cœur
léger.
Si nous avons le cœur léger, nous aurons le corps léger, fondamental pour notre
pratique !
ALORS… ?
Le cabinet comme oasis au milieu de la lourdeur ambiante
Un temps différent dans la présence
Un endroit où déposer les fardeaux, les poids et les peines
Un échange léger et joyeux car là est l’essence de la Vie
Le pétillement des cellules et des yeux avant de repartir
ça vous dit ?
Alignés avec nos collègues japonais, dans l’authenticité. Praticien et receveur
unis dans la même légèreté de la Vie. Bienvenue sur les tatamis !
Joie et clarté des Corps Glorieux, comme disait Messiaen. Mais ici sur Terre.
APPENDICE
Outre la manière d’être, il y a également des façons de faire qui nous sont
totalement accessibles pour nous rapprocher du Japon, sans se prétendre spécialiste du Japon.
Si vous avez envie de creuser, j’y ai déjà
consacré deux articles :
De tous temps, l’homme a connu l’angoisse du lendemain et proposé plusieurs
réponses, religieuses, philosophiques ou très pragmatiques à la question, pour
simplement se rassurer.
Les temps que nous vivons sont venus nous le rappeler, si nécessaire.
Les sammyaku sont une pratique venue du grand fonds philosophique et médical
oriental, qui s’est perpétuée jusque de nos jours. L’intérêt pour nous est
qu’elle utilise des points que nous utilisons en shiatsu également.
Il s’agit de connecter en triangulation P8 sur l’artère radiale et ES9 à gauche
et à droite sur les carotides. En cas de déséquilibre, il y a danger pour la
vie.
La question n’est pas de savoir si ça marche ou si c’est scientifiquement
vérifié. Dans le cadre propre au shiatsu, rappelons-nous :
l'intérêt de nous ouvrir à diverses pratiques et d'être inclusifs
la nécessité de nous harmoniser aux énergies du Ciel
et de la Terre, une dysharmonie en nous-mêmes ou entre notre manifestation et
l’Univers pourrait être fatale.
les points travaillent à bien des niveaux, pas
seulement sur le fonctionnement des organes, mais aux niveaux psychique,
émotionnel et spirituel, ainsi que sur l’interrelation avec tous les êtres.
faisons donc une incursion dans l'approche des pratiques divinatoires anciennes
Energie acquise, énergie innée : pouvons-nous changer notre destin ? Qu'en disent les Orientaux ?
Tout cela est développé dans le texte. Et maintenant, bonne lecture !
SAMMYAKU NO HÔ
Allons-nous mourir tout à l’heure ? Ou
demain ? Eternelle question, visiblement devenue obsédante pour beaucoup
de personnes par les temps qui courent.
Chacun aura recours aux méthodes de prédiction ou de divination de son choix
pour essayer de lire son avenir. Il y a pléthore ! Et ne dites pas que
vous n’avez jamais cédé à la tentation.
Mais il y en a une qui vaut une analyse, car elle utilise des points de shiatsu
que nous connaissons bien. On l’appelle le SAMMYAKU NO HÔ. 三脈の法.
C’est Itsuo Tsuda, esprit curieux et jamais en peine de raconter une bonne
histoire qui m’a mis sur la piste de cette pratique. Dans ‘Face à la science’,
tome 9 de son Ecole de la Respiration, il nous dit que son maître Noguchi (Haruchiko
Noguchi, fondateur de la pratique du Seitai) enseignait les sammyaku aux
pratiquants de Seitai vers la fin de la guerre, alors que Tokyo était exposée
aux raids aériens. Ils savaient ainsi s’ils allaient mourir ou non. Voilà qui
suscite notre curiosité. Creusons un peu.
Etymologie par les kanji
Pour savoir ce que c’est, comme d’habitude, allons voir les kanji
三san,
signifie 3 et devient sam par redoublement devant le m de myaku qui suit.
脈myaku,
veine, pulsation, pouls… mais aussi
‘vaisseau’. On l’utilise pour les vaisseaux sanguins, mais aussi pour
les ‘vaisseaux curieux’ (dont le nom complet en Japonais est Kikei Hachimyaku,
en Chinois Qi Jing Ba Mai et cela s’écrit pareil : Ki 奇(extraordinaire,
désigne les parcours hors méridien) Kei経(Méridien) Hachi八(Huit)
脈Myaku
(circulation).
の no, déterminatif, signifie
‘de’
法, hô, signifie méthode, principe,
système et celui-là, nous le connaissons aussi à cause du livre de Tempeki
Tamai 指圧法, méthode de shiatsu.
Donc, 三脈の法, sammyaku no hô, se traduit habituellement par méthode des trois
pouls. Mais gardons bien en tête l’idée de flux qui est inhérente au mot myaku.
Anticiper les dangers
Il s’agit en fait de vérifier la concordance de trois pouls spécifiques et d’en
tirer les conclusions qui s’imposent.
Itsuo Tsuda replace la pratique dans le Japon ancien, puisqu’il nous raconte qu’on
vérifiait les sammyaku lors des voyages des Daimyo (nobles japonais qui
gouvernaient les provinces), avant le départ. S’il y avait perturbation dans
les trois pouls, il y avait danger de guet-apens. Et donc, il ne fallait
surtout pas rester là, et changer l’itinéraire.
Les sammyaku permettent de détecter une réaction de l’organisme face à un
danger imminent.
Sensation plutôt émoussée chez les humains, d’habitude, mais pas chez les
animaux. On sait que ceux-ci sont capables d’anticiper les catastrophes
naturelles, voire, dans le cas d’animaux domestiques, la mort d’un humain ou la
leur.
Pour ceux qui n’ont pas le mauvais pressentiment à fleur de peau, ou qui
veulent vérifier leurs pressentiments, les sammyaku sont une méthode très
pratique et facile. Si les trois pouls sont en concordance, on peut
rester là. Sinon, il faut partir tout de suite.
Toujours utilisée de nos jours
En creusant un peu, j’ai été surpris de constater que le sammyaku no hô est
toujours utilisé au Japon aujourd’hui, et même enseigné.
Ainsi, M. Ichibay qui se définit comme ‘ a sake drinker’ nous partage-t-il dans
son blog ‘Sake, kimono and tabi’ ses réflexions sur
le sammyaku au lendemain du tsunami de 2011 et nous raconte-t-il qu’il l’a
appris de son ‘entraîneur en cascade’. Il faut comprendre par là la pratique
Shinto de se tenir sous une cascade pour pratiquer le misogi (purification).
Ainsi les sammyaku permettent-il de voir si, en allant sous une cascade, on risque, par
exemple, une hypothermie, de glisser sur un rocher ou de se prendre sur la tête
une pierre charriée par les flots.
On trouve également des vidéos en Japonais pour enseigner la méthode. Même la clinique
‘Kobe Rokkodo Osteopathic Institute Acupuncture and Moxibustion Institute
Hanpo-do’ recommande l’utilisation de la méthode des trois pouls pour détecter
les signes de danger.
Il nous est bien précisé que la méthode provient ‘des médecins chinois’ et que,
bien qu’elle n’ait pas vraiment de fondement scientifique, ce ne serait pas étonnant que les humains
aient, comme les animaux, la capacité de sentir arriver les dangers. On peut
aussi la voir comme une façon d’amener des informations du subconscient au
conscient.
On l’utilise dans deux cas précis :
Soit plusieurs personnes dans le même espace l’utilisent et une seule n’est pas
alignée, dans ce cas, elle a des signes de maladie.
Mais si d’autres personnes autour de nous ont également des signes de désordre,
on peut penser à un accident majeur ou à une catastrophe naturelle impliquant
plusieurs personnes se trouvant à cet endroit.
Dans tous les cas : fuyons.
Comment pratiquer ?
La pratique est extrêmement simple.
(crédit photo : site du kobe rokkodo osteopathic institute)
On prend le pouls radial sur le poignet
gauche si on est un homme et sur le poignet droit si on est une femme (yinyang,
logique), en utilisant le pouce de l’autre main.
En tenant ce pouls, on place le pouce et
le majeur de la main sur la carotide dite ‘primitive’, qui passe à gauche et à
droite du cou.
Soit :
le pouls des deux carotides et du poignet est synchrone, tout va bien, pas de
danger.
les pouls sont désynchronisés, un grave péril est prévisible dans les 24
heures.
Il faut alors changer les activités prévues dans le futur immédiat
(par exemple partir en voiture plutôt qu’en train, changer son vol, etc.) et reprendre
les pouls.
Il faut procéder ainsi jusqu’à ce qu’ils redeviennent synchrones.
Après, on trouve des raffinements :
les trois pouls sont désynchronisés : grand danger
seul le poignet est hors phase : problèmes relationnels (procès, dispute…)
la carotide gauche est hors phase : problème d’argent (vol, fraude…)
la carotide droite est hors phase : vitalité affaiblie, maladie aigüe…
M. Ichibay a poussé la bonté sur son blog jusqu’à démontrer clairement comment
faire.
Pertinence et intérêt par rapport au Shiatsu
On entend d’ici ricaner ceux qui se piquent d’approche scientifique, prompts à
qualifier de superstition ridicule ce genre de pratique. Ce serait adopter une
approche mentale qui crée des catégories qui, en fait, n’ont pas lieu d’être.
Toute la médecine (orientale et occidentale) est, qu’on le veuille ou non, le
fruit de recherches empiriques, vérifiées et structurées par l’expérience
répétée au long des siècles.
On pourrait aussi le prendre à la japonaise, comme le fait M. Ichibay, disant
qu’on ne sait pas si ça marche, mais vu que c’est gratuit, ça ne coûte rien
d’essayer. On retrouve là la curiosité et l’ouverture des Japonais, toujours
prêts à examiner quelque chose et, le cas échéant, à l’améliorer. Ce que,
pratiquant un art Japonais, nous devrions également être toujours disposés à
faire, en étant inclusifs dans notre pratique.
Personnellement, j’accorde de l’intérêt à ces choses que l’on se passe ainsi
dans toutes les traditions depuis des générations. Même si, évidemment, je ne
vais pas me prendre les sammyaku tous les matins, ce qui laisserait soupçonner un
possible déséquilibre psychologique.
Mais, surtout, le fait de prendre les pouls sur des points bien précis incite à
voir si on ne peut pas en tirer des enseignements pour notre pratique du
shiatsu ou notre réflexion.
Origine historique des sammyaku
Dans la nébuleuse historique qui entoure toutes ces pratiques orientales, je
trouve une référence qui situe l’origine des sammyaku dans la partie médicale du
Qi Men Dun Jia. Le mot (chinois) existe
curieusement tel quel dans le dictionnaire japonais et se compose de 4 kanji
奇étrange (c’est le même que pour les
méridiens merveilleux, donc comprenons ‘hors parcours habituel) 門porte 遁fuir 甲
armure, carapace
Donc ‘armure pour fuir par l’étrange porte’ ou une porte inhabituelle.
On apprend ensuite que le Qi Men Dun Jia est un art divinatoire Chinois,
toujours usité de nos jours pour divers
cas de divination (affaires, mariage, fortune, Feng Shui, voyages, etc.). De
nature plutôt stratégique à la base, il permettait de remporter des combats. Il
est basé sur les éternels archétypes de l’esprit chinois : Yinyang, 5 éléments et des carrés
magiques de 3 x 3. Certaines pratiques travaillent sur les Shen (‘esprits
célestes) tandis que d’autres, plus ésotériques, utilisent les talismans,
incantations et démons. Arts du Ciel et de la Terre, donc, tout ceci est bien
reconnaissable.
De nos jours, et en Occident, des consultants européens (l’institut Marip, par
exemple) l’utilisent pour conseiller des chefs d’entreprise. Voyez ici un site bien explicatif
concernant le Qi Men Dun Jia.
Comme le précise le site de Marip, divination ne veut pas dire croyances et magie, mais
c’est un modèle opérationnel, tentant de décrypter et donc d’anticiper les
mouvements de l’Univers. Le Yi Jing constitue un autre outil en
ce sens. Et la tradition chinoise en propose bien d’autres encore.
Nous voyons donc deux versants à l’utilisation de toutes ces pratiques dites
divinatoires:
L’approche ‘Ciel’ : énergétique, une utilisation abstraite, tentant de
comprendre et d’anticiper les mouvements de l’Univers, et savoir comment nous
aligner. Ce que nous pourrions traduire en shiatsu par la pratique du Ki Do Ma : la
bonne action (Ki) avec la bonne intensité (Do) et dans le bon intervalle (Ma). La fonction rituelle de l’Empereur, en quelque sorte.
L’approche ‘Terre’ : une utilisation matérielle dans le quotidien de la
vie individuelle : savoir ce qui va se passer demain, si on va mourir ou
non, comment se concilier les puissances extérieures, etc. En shiatsu, on pourrait traduire cela par si je pousse sur tel point, tel effet
va s’ensuivre. Les manuels en sont pleins. Notre vie d’homme ordinaire, quoi.
On peut aussi utiliser le Yi Jing de deux façons. Ce serait en Occident, par analogie, la différence de regard entre l’astrologie
et l’horoscope, ou l’utilisation que l’on peut faire du tarot.
Il n’y a pas de choix ou de jugement à émettre concernant l’utilisation qu’on
en fait. L’Homme, entre Ciel et Terre, a pour privilège de pouvoir observer le
Ciel et de prendre soin de la Terre. Tout dépend de vers où on regarde.
Conernant les sammyaku, l’approche ‘Terre’ est évidente. Vais-je mourir
demain ? Voyons si une approche ‘Ciel’ est possible, et pour cela, il faut
aller voir les points.
3 points et un triangle
Le point de poignet est sur le Poumon et on pourrait hésiter entre P8 et P9,
sauf que P9 se situe ‘dans un creux en dehors de l’artère radiale ».
Ce serait donc plutôt P8, Keikyo, en Chinois Jing Qu, traduit habituellement
par gouttière du vaisseau et situé précisément ‘dans la dépression sur le côté
latéral de l’artère radiale’.
Le kanji est particulièrement intéressant :
經 KEI est le même que dans Keiraku (méridien) et indique donc : la chaîne
d’un tissu, une route Nord-Sud, un méridien, une longitude, les vaisseaux d’un
corps (artères, veines, nerfs…), le pouls et les classiques ou même les sutra.
On voit l’idée de trame verticale.
渠 KYO associe une équerre en bois et l’eau : un lieu où les eaux se
rassemblent, un canal, un fossé Philippe Laurent nous dit que keikyo désigne
donc un lieu : la gouttière radiale, où on palpe le pouls. Après un détour
sur P7, le méridien reprend son alignement sur l’artère radiale. Pour toute
indication thérapeutique, on nous dit que ce point ‘régularise l’énergie du
poumon’.
Les points du cou sont sur les artères carotides gauche et droite. Nous sommes
ici sur ES9, sur le bord antérieur du SCM, ‘où on sent battre la carotide’.
Le nom Chinois est Ren ying, le nom Japonais Jingei et Philippe Laurent analyse les idéogrammes comme
suit :
人Humain 迎Heurter, aller à la rencontre.
Littéralement ‘rencontres humaines’, en Chinois médical ‘carotides’.
C’est un point mer du Qi et Fenêtre du Ciel, il équilibre le sang et l’énergie.
Si on reste sur l’étymologie basique de ces points, nous sommes donc en train d’examiner
comment sont les sammyaku (les trois circulations) sur des endroits du corps
qui nous parlent d’énergie qui doit reprendre son cours normal et de ce qui
peut venir à la rencontre de l’Homme ou le heurter.
Si on regarde les fonctions des points P8 et ES9, nous trouvons 'régulariser l'énergie du poumon' et équilibrer le Sang et l'énergie.
Si on regarde ensuite quelques fonctionsdes organes/entrailles sur les
méridiens desquels se situent ces points précis, nous trouvons :
Le Poumon gouverne le Ki, le fait descendre et le diffuse à chaque organe et chaque
tissu. Par la respiration, il gère également l’interaction entre l’extérieur et
l’intérieur, et intervient à plusieurs moments
dans la complexe interaction des
différents types de Ki.
L’Estomac est le réceptacle des liquides et des graines, il réceptionne et
décompose les aliments. L’énergie de
l’Estomac est le fondement de l’homme. Quand le Qi de l’ES est présent, c’est
la vigueur, la vie et la santé des 5 organes.
Selon le docteur Manola Souvanlasy Abhay (in ‘La médecine énergétique chinoise’),
la qualité du Qi de l’ES est un facteur de pronostic de vie ou de mort dans des
maladies graves. Source de la nutrition. L’état du Qi de l’ES se reflète dans
le pouls qui doit être harmonieux, calme, vigoureux, ni rapide, ni lent.
En posant les doigts en connexion sur P8 et ES9, nous interrogeons donc les deux
aspects de l’énergie acquise (respiration et nourriture) et les mettons en
relation :
Nourriture immatérielle et matérielle, indispensables à la vie
Ki Ketsu, qualité du Ki et du Sang
Ciel / Terre
On peut comprendre que s’il y a
perturbation sur la circulation ou la qualité de l’énergie acquise, il risque d’y
avoir un problème. Le plus étonnant, c’est qu’on nous dise que les problèmes
vont venir d’événements extérieurs. Constatant un déséquilibre sur trois
points, nous aurions en effet tendance à maintenir la connexion pour tenter de
régulariser. Mais ici, le diagnostic est bon ou mauvais et la correction à
effectuer est dans l’interaction avec le monde extérieur et sur l’endroit où va
se situer, ou non, le corps.
C’est étrange, ou non… selon ce qu’on veut considérer. N’y aurait-il pas ici
une réflexion à mener sur le plan de l’énergie innée ?
Connaître ou modifier notre destin ?
Car un petit commentaire innocent trouvé au sujet des sammyaku me met sur une
autre piste bien intéressante. ‘S’il y a danger de mort dans les 24h, le sens
de l’existence (the sense of existence) détectera le danger et dérangera le
pouls afin que la personne en prenne conscience’.
Si on parle de ‘sentiment d’exister’, on appellerait cela le pressentiment.
Auquel cas, les sammyaku sont une méthode qui objective un pressentiment, selon le
principe que, si l’esprit peut être aveugle, le corps, lui, ne ment jamais.
Mais si on parle de ‘sens de l’existence’, ou encore de ‘destinée’, la question
est de savoir si on peut connaître son destin. Car l’énergie vitale innée est disponible pour son temps de vie terrestre. Pouvons-nous seulement subir ou modifier le
destin ?
Il existe un grand point qui nous parle de cela, VG 4, Meimon, Porte de la destinée
Mais attention aux concepts de nouveau. Rien à voir avec le fatum latin ou l’Ἀνάγκη grecque (anankê) où tout est écrit d’avance.
Le kanji utilisé ici est ‘inochi’ 命(le même qui apparaît dans le célèbre slogan
de M. Namikoshi –‘inochi no izumi waku’). Inochi concerne à la fois la vie vue dans sa finalité et l’existence humaine. Quand
on choisit de dire Inochi, on entend bien plus que l’espace entre la
naissance et la mort d’un individu, mais plutôt l’énergie vitale,
non-manifestée puis manifestée, ou, si vous préférez : Ciel Antérieur et
Postérieur. La Vie, le flux qui nous traverse, quoi.
Meimon est le point où surgit Inochi. Selon Elisabeth Rochat de la
Vallée ( in ‘101 notions-clés de la Médecine Chinoise’), la destinée est donc
la force vitale, le sort individuel, la durée de vie allouée à chacun, en même
temps qu’elle est vie personnelle à mener, destin à accomplir. Le passage par
une porte fait entrer dans la vie.
La porte de la destinée est le lieu où
commence une vie personnelle, là où le dessein du Ciel rencontre la possibilité
terrestre de prendre corps, où Yin et Yang se croisent, essences et souffles
commencent à se compénétrer, le champ de cinabre, les reins.
Il existe donc à tout moment la possibilité que ce destin s’interrompe, par
accident ou parce que c’est la fin de la Vie et la question est de savoir si
nous pouvons y faire quelque chose.
Cette question n’est absolument pas
tranchée, tant il y a deux écoles. Il en fut de même chez les Chinois et il y a
eu des changements dans l’approche philosophique de la culture médicale
taoïste.
Avant l’époque Song (960 -1279), on se base sur la conviction que la vie est
prédéterminée. La pratique alchimique ne peut rien modifier, il s’agit de découvrir
et de réaliser son propre parcours. C’est l’harmonisation au mouvement qui va
du Jing au Shen, la réalisation de l’essence. Laisser s’accomplir le grand
Shen.
A partir de la dynastie Song, l’idée se développe que ce qui est établi peut
être modifié, le destin peut être changé grâce à l’approche médicale, l’énergie
et l’esprit peuvent provoquer une transformation de l’essence. Le mouvement n’est
plus seulement ascendant, on peut travailler à double sens.
Et c’est alors que ‘l’on voit apparaître, notamment, l’introduction parmi les
stratégies thérapeutiques des méridiens curieux, par l’intermédiaire desquels
on peut agir au niveau des énergies constitutionnelles : Jing et Gen’.
(In Emilio Simongini & Leda Bultrini
‘le psychisme dans la médecine Chinoise’). Mais voilà encore une belle et compliquée histoire.
La pratique des sammyaku n’entre absolument pas dans ce cadre.
Mais, sachant tout ce qui précède, en certaines occasions, je me vois bien faire les sammyaku. Un check point de
plus pour voir si Ki mochi ga ii : l’état du ki est bon.
Et vous ? Voilà où, partis de trois petits points, nous pouvons
arriver. Ne pratiquons-nous pas un art merveilleux ?
Retour à l'abstract pour réordonner les pensées.